LES FONDEMENTS DU RÉGIME SOCIAL DES ARTISTES-AUTEURS
À l’heure où le gouvernement entérine - sans concertation préalable des syndicats d’artistes-auteurs - des modifications conséquentes de notre régime social à travers des dispositions inscrites dans le projet de loi de finance de 2018, il convient de revenir sur le fondement de ce régime, son actualisation, sa simplification et ses indispensables améliorations.
Si ce sujet peut paraître "technique", il est en réalité avant tout politique : quelle place la France veut-elle reconnaitre aux artistes-auteurs à travers la prise en compte des spécificités de leur situation économique et sociale ?
1/ LA LOI DE 1975 JETTE LES BASES DU RÉGIME ACTUEL
Des taux de cotisations identiques à ceux des salariés.
Une assiette sociale identique à celle des impôts. Des droits sociaux proches de ceux des salariés. |
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La loi du 31 décembre 1975 a défini les principes fondamentaux du régime de protection sociale des artistes auteurs d’œuvres littéraires et dramatiques, musicales et chorégraphiques, audiovisuelles et cinématographiques, graphiques et plastiques (le champ d’application du régime sera ultérieurement ouvert aux photographes sous condition d’activité, aux graphistes et aux dessinateurs textiles).
Ce régime est codifié par les articles L. 382-1 et R.382-1 et suivants du code de la sécurité sociale.
La loi de 1975, compte tenu de la spécificité des activités professionnelles des artistes-auteurs, institue un système de protection sociale rattaché au régime général en contrepartie de cotisations identiques à celles des salariés et basées sur le revenu fiscal.
Le Ministère du travail, dans son rapport au Premier Ministre en vue de l’approbation du projet de décret d’application de la loi de 1975, en précisait clairement les contours :
- Le régime des cotisations dues par les artistes auteurs s’inspire de celui applicable aux salariés.
- Les cotisations portent sur les revenu réels des artistes tels qu’ils sont déclarés au fisc en vue de l’établissement de l’impôt sur le revenu, pour partie sur la totalité des revenus artistiques et pour partie sur la fraction des revenus qui n’excède pas le plafond de la sécurité sociale.
- Une assiette forfaitaire est prévue en faveur des revenus les plus modestes, ainsi que durant la première année d’activité.
- En cas d’activité salariée exercée par ailleurs la cotisation vieillesse de base au titre des revenus artistiques ne porte que sur la différence entre le montant des revenus salariaux et le plafond.
- La cotisation vieillesse est versée dans tous les cas par l’artiste auteur lui-même.
- La cotisation déplafonnée est précomptée lorsque les revenus sont déclarés par un tiers (droits d’auteurs). Dans le cas contraire son versement incombe à l’artiste auteur.
- Destinée à équilibrer le régime en compensant la différence entre le produit des cotisations personnelles des artistes et le montant des prestations qui leur seront servies, la contribution « patronale »porte sur les seuls éléments définis par la loi.
Recouvrées par des organismes agréés, la contribution et les cotisations sont ensuite reversées à l’ACOSS suivant une procédure mise au point entre les organismes agréés et l’agence centrale laquelle procèdera chaque année à leur affectation à chacune des caisses nationales en vue d’assurer l’équilibre financier de chacune des branches : maladie, prestations familiales, vieillesse.
- Le bénéfice des prestations est réservé, sauf exception admise par les commissions dites de professionnalité, aux artistes ayant retiré de leur activité artistique des ressources supérieures à 1200 fois la VHMS et qui sont à jour de leurs cotisations."
La phrase du rapporteur du projet à l’Assemblée Nationale, "il n’est pas nécessaires de vivre mal pour bien créer" , rend compte de l’esprit de la réforme, souhaitée par les représentants des artistes-auteurs et votée à l’unanimité par les deux assemblées.
À l’époque, le rapporteur de la commission des affaires culturelles du Sénat estime que « ce projet de loi a le grand mérite de constituer un progrès dans l’élaboration du statut de l’artiste créateur, considéré enfin dans notre société, non plus comme un marginal plus ou moins superflu, mais comme un professionnel dans le domaine original et essentiel qui est le sien ».
Un objectif qui reste toujours actualité plus de 40 ans après...
2/ UNE PRATIQUE FAUTIVE DE L’AGESSA, DÈS SA CRÉATION !
Bien que chargés d’appliquer les mêmes textes, les deux organismes agréés les ont, dès le départ, appliqués de façon divergente en ce qui concerne la base de calcul des cotisations, et ce, sans que la tutelle ministérielle n’y mette bon ordre.
L’esprit de la loi de 1975 et l’intention du ministère du travail étaient sans ambiguïté : "Les cotisations portent sur les revenu réels des artistes tels qu’ils sont déclarés au fisc en vue de l’établissement de l’impôt sur le revenu".
La rédaction de l’article L382-3 qui en découle n’a pas bénéficié de cette même clarté : "Les revenus tirés de leur activité d’auteur ... sont assujettis aux cotisations d’assurances sociales et d’allocations familiales dans les mêmes conditions que des salaires". Or le code de la sécurité sociale ne propose pas de définition de la notion de "revenu". Toutefois, il se réfère fréquemment à la notion de revenu fiscal pour définir l’assiette des cotisations sociales.
La Mda, gestionnaire du premier régime des peintres, graveurs et sculpteurs (loi de 1964), recouvre les cotisations des artistes-auteurs sur l’assiette constituée par leurs bénéfices non commerciaux (BNC). Ce recouvrement sur le revenu fiscal est conforme à la volonté du législateur et au code de la sécurité sociale.
En revanche, l’Agessa, créée en 1977, prend le relai de la Caisse Nationale des Lettres (loi de 1956) et, à l’instar de cette dernière, recouvre les cotisations des artistes-auteurs sur l’assiette constituée par leurs recettes subrepticement appelées "revenu brut" (et non sur leur revenu fiscal).
Cette confusion de l’Agessa entre "revenu professionnel" et "recettes" perdure encore largement aujourd’hui (voir l’article associé). Outre qu’elle n’est pas conforme à la loi, cette pratique est inéquitable.
3/ L’ARTISTE-AUTEUR N’EST PAS SALARIÉ !
L’artiste-auteur supporte lui-même les charges afférentes à son travail : locaux, énergie (chauffage, électricité, ...), outils de travail, matières premières, déplacements, etc.
Dans le cadre du salariat, ces frais sont pris en charge par l’employeur.
Les remboursement des frais individuels du salarié ne donnent nullement lieu à des cotisations sociales (l’indemnité de transport, les tickets restaurants, etc. sont évidemment exonérées de cotisations sociales). Ainsi les dépenses engagées par le salarié pour les besoins de son activité professionnelle sont remboursables par l’employeur et exonérées de cotisations sociales. L’assiette de cotisation sociale d’un salarié est elle même nette de frais professionnels !
À cet égard, le cas particulier des travailleurs à domicile est aussi éclairant. L’article L241-9 du code de la sécurité sociale dispose que : "La rémunération propre au travailleur à domicile est obtenue en déduisant de la rémunération globale versée par l’employeur, d’une part, les rémunérations des personnes travaillant avec lui, d’autre part, s’il y a lieu, le montant des frais d’atelier fixés forfaitairement par arrêté ministériel." Ainsi ces salariés "rémunérés à façon, aux pièces ou à la tâche" cotisent sur un revenu net des frais engendrés par leur travail à domicile et non sur un "revenu brut" incluant le remboursement de frais versé par l’employeur.
Il est donc a fortiori incohérent de faire cotiser un non salarié sur ses recettes alors qu’il supporte incontestablement les frais liés à son activité professionnelle. Payer des cotisations sociales sur des frais professionnels (ou des remboursements de frais) est un non sens. Les frais professionnels ne font évidemment pas partie du revenu.
Le recouvrement de cotisations sociales sur les recettes des artistes-auteurs constitue une anomalie dans le droit commun lui-même. Cette pratique préjudiciable de l’Agessa - dès sa création - ne respecte pas la loi de 1975 et a introduit une inégalité de traitement entre les artistes-auteurs de l’Agessa et ceux de la Mda (ces derniers cotisant à juste titre sur leur bénéfice et non sur leurs recettes). |
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Rappelons enfin, que, contrairement à un salarié, l’artiste-auteur ne bénéficie ni d’un revenu mensuel fixe, ni de la sécurité de l’emploi, ni du chômage. Son revenu professionnel a un caractère irrégulier et imprévisible. Outre cette précarité et cet aléa, le revenu d’un artiste-auteur (ventes d’œuvre originale, droits d’auteurs) a la particularité d’être déconnecté du temps de travail. En effet la création artistique est une activité professionnelle dissociée d’un revenu immédiat et proportionnel au temps de travail, elle n’en est pas moins une activité productive réelle et essentielle dans toute société humaine (voir cet article).
4/ LE DÉFAUT DE CONTRÔLE DE LÉGALITÉ
RECETTES = CHIFFRE D’AFFAIRES = DROITS D’AUTEUR ET/OU VENTES D’ŒUVRE RECETTES - FRAIS PROFESSIONNELS = BÉNÉFICE = REVENU PROFESSIONNEL |
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Ces équations sont vraies pour tous les artistes-auteurs sans exception. Mais le montant des frais est extrêmement variable selon les activités artistiques. Les frais supportés par un écrivain, par exemple, sont a priori nettement plus faibles que ceux supportés par un sculpteur. Les activités des auteurs des arts visuels (arts graphiques, plastiques, photographiques) nécessitent notoirement des investissements conséquents : atelier, matériel de travail, matière première, etc.
Plus les frais professionnels sont élevés, moins le recouvrement des cotisations sur les recettes n’est supportable ou acceptable. La différence entre recettes et bénéfice peut être très importante selon l’exercice professionnel.
Or en 1977 l’Agessa a intégré les photographes dans son champ. Les illustrateurs ont été curieusement écartelés par décret entre les deux organismes (en fonction du support de publication : presse ou livre !). Ainsi un peintre-illustrateur paie ses cotisations sociales sur son bénéfice s’il est à la Mda alors qu’il les paie sur ses recettes s’il est à l’Agessa, et il ne peut choisir lui-même de quel organisme il dépend ! Il en va de même pour un photographe. L’injustice est criante, notamment pour les artistes-auteurs de l’Agessa qui supportent des frais professionnels conséquents.
Non seulement l’Agessa dès le départ encaisse fautivement des précomptes sur les recettes des artistes-auteurs mais encore elle ne leur appelle pas la cotisation vieillesse légalement obligatoire.
La logique aurait voulu que le ministère des affaires sociales chargé du contrôle de légalité des organismes agréés rétablisse dans leurs droits les artistes-auteurs de l’Agessa. Or, la Direction de la Sécurité Sociale a au contraire soutenu et encouragé les pratiques illégales de l’Agessa au détriment des artistes-auteurs.
En 1988, comble d’aberration et de méconnaissance des conditions d’exercice des artistes-auteur, un rapport de la cour des comptes dénonce non pas les mauvaises pratiques de l’Agessa mais les bonnes pratiques de la Mda ! Ce rapport consternant préconise la généralisation du précompte et du recouvrement des cotisations sociales sur les recettes des artistes-auteurs. Dans l’esprit mal informé de la Cours des comptes : Chiffre d’affaires ou Recettes = Salaire brut = Assiette sociale !