UN RÉGIME QUI N’EST TOUJOURS PAS DANS SON ASSIETTE ! (2)

LES LOIS DE 1993-94 ET LEURS DÉRIVES EN MATIÈRE D’ASSIETTE SOCIALE

Les dérives observées en matière d’assiettes sociales et la genèse de la majoration de 15% du BNC dénotent une tendance forte de la Direction de la sécurité sociale à mettre à mal les fondements légitimes de notre régime.

Rappel :

RECETTES = CHIFFRE D’AFFAIRES = DROITS D’AUTEUR ET/OU VENTES D’ŒUVRE

RECETTES - FRAIS PROFESSIONNELS = BÉNÉFICE = REVENU PROFESSIONNEL


1/ 1990 : QUAND L’INSTAURATION DE LA CSG TIENT LIEU DE BALLON D’ESSAI POUR REMETTRE EN CAUSE L’ASSIETTE SOCIALE NORMALE DES ARTISTES-AUTEURS

En 1990 l’instauration de la CSG sur une mauvaise assiette met le feu aux poudres.

La loi de finances du 29 décembre 1990 [1] institue un nouveau prélèvement fiscal appelé CSG (contribution sociale généralisée). Dans le même esprit fautif que la Cours des comptes (voir notre article), cette loi confond allègrement "salaire" et "recettes" pour les artistes-auteurs. Elle dispose que l’assiette de la CSG sera constituée pour les artistes-auteurs des recettes diminuées d’un taux forfaitaire de 5%.

À compter du 1er juillet 1992 (sur les revenu de 1991), les auteurs d’arts graphiques et plastiques se sont ainsi vu imposés de payer la CSG sur 95% de leur chiffre d’affaires (désigné par le terme extrêmement flou de "revenu brut") alors que les salariés eux-mêmes sont assujettis sur 95 % de leurs revenus bruts mais après une prise en compte de leurs frais professionnels et que, les travailleurs indépendants ne sont assujettis à cette contribution que sur leur revenu net fiscal majoré de leurs cotisations obligatoires de sécurité sociale.

L’instauration sans concertation de cet impôt sur 95% de leur chiffre d’affaires provoque à juste titre un tollé des organisations professionnelles représentant les cotisants de la Mda.

2/ 1993 : LA "BOULETTE" QUI MET LES ARTISTES ET LEURS SYNDICATS DANS LA RUE

Pire encore, fin décembre 1992 une réforme concoctée en catimini par la Direction de la sécurité sociale impose une "unification de l’assiette des cotisations" des artistes-auteurs en généralisant l’utilisation du chiffre d’affaires (ou recettes) comme assiette sociale !

Les syndicats des artistes-auteurs s’étonnent « de voir le ministère de la Culture soutenir et approuver une loi anti-artistes ». Le conseil d’administration de la Mda fait savoir « solennellement qu’il agira avec la plus grande énergie en vue d’obtenir que soit reconsidéré l’ensemble de ces dispositions, qu’il juge totalement inacceptables ».

Face à la mobilisation des représentants des artistes-auteurs (plasticiens, graphistes, illustrateurs, photographes) et compte tenu du franc succès des manifestations organisées par l’intersyndicale début 1993, un communiqué des ministères de tutelle (affaires sociales et culture) annonce la décision de « surseoir à l’application de la loi du 27 janvier 1993 modifiant le régime de protection sociale des artistes » en précisant que « la mise en œuvre de ces dispositions nécessite une concertation approfondie ». Les mesures initialement envisagées sont alors publiquement qualifiées de "boulette" par le ministre de la culture.

3/ 1994 : UN ENFUMAGE MINISTÉRIEL INSTAURE ABUSIVEMENT UNE MAJORATION FORFAITAIRE DU BNC !

Au lieu de minorer l’assiette de cotisation des artistes-auteurs de l’Agessa en tenant compte de leurs frais professionnels, les négociations entre les ministères de tutelles et les syndicats aboutissent - via la loi du 18 janvier 1994 - à une majoration forfaitaire du BNC (15%).

Pourquoi cette régression sociale concernant l’assiette ?

En tout premier lieu en raison d’une forte tendance du ministère des affaires sociales à se préoccuper davantage de "ses" affaires que du "social". Ce ministère n’a visiblement que faire des conditions d’exercice réelles des artistes-auteurs. Hier comme aujourd’hui, la Direction de la sécurité sociale s’avère clairement plus soucieuse de recouvrement (à moindre coût et sur des assiettes sociales abusivement majorées) que de la sécurité sociale à proprement parler des artistes-auteurs.

Autre facteur, seuls les syndicats des auteurs des arts visuels se sont mobilisés contre le projet de réforme de 1993. Bien qu’ils soient eux aussi victimes des pratiques illégales de l’Agessa, les représentants des écrivains, des compositeurs, etc. n’ont pas manifesté leur désapprobation, ni sur l’assiette instaurée pour la CSG (minorée de 5% pour frais professionnels), ni sur l’assiette de leurs cotisations (précompte des cotisations de sécurité sociale sur leurs recettes frais inclus), ni sur l’absence d’appel des cotisations vieillesse (= pas de droit à la retraite). "Pas de protestation donc pas de problème ! " estiment alors les ministères de tutelle qui se sont en conséquence appliqué à modifier l’assiette sociale de la Mda et non celle de l’Agessa.

Certains représentants des auteurs des arts visuels (notamment ceux des photographes cotisant à l’Agessa) étaient prêts à accepter tout compromis, fusse-t-il absurde, du moment qu’il améliorait leur situation présente (cotisation sur leur chiffre d’affaires).

Au final, c’est un enfumage sémantique et arithmétique des ministères qui l’a emporté.

Les ministères parlent sans cesse de "revenu brut" alors qu’ils visent en réalité les recettes (ou chiffre d’affaires) des artistes-auteurs. La notion de "revenu brut" n’a pas de sens en soi. Brut de quoi ? En revanche, les notions de recettes et dépenses sont clairement définies, y compris fiscalement.

"Mal nommer un objet c’est ajouter au malheur de ce monde" écrivait Albert Camus fustigeant celui qui trompe les autres en "mal nommant", en déformant le réel, en masquant la vérité. Mal nommer nos revenus a effectivement largement contribué à notre malheur.

C’est sous un angle sémantique fallacieux que le gouvernement a abordé le problème de l’inégalité de traitement entre les deux organismes en matière d’assiette sociale : d’un côté un revenu dit "brut", de l’autre un revenu dit "net" alors qu’en réalité le revenu professionnel réel de tout artiste-auteur est constitué de ses recettes diminués de ses frais.

De cette première entourloupe a découlé la seconde : en effet, passer d’un brut à un net, et vice versa, n’est qu’un calcul arithmétique basique.

Passant sous silence, que le revenu "brut" dont il est question ici est un revenu brut de frais et qu’aucun salarié ni travailleur indépendant, ne paie de cotisations sociales sur des frais professionnels, les ministères ont posé comme postulat que l’assiette de l’Agessa était la "bonne base" et ils se sont attachés à reconstituer un "net" côté Mda. D’où un coefficient multiplicateur de 1,15 (majoration de 15%) sur le BNC.

Cette majoration forfaitaire du BNC - qui ne respecte ni le droit social, ni le droit fiscal - n’a en réalité strictement aucun sens, si ce n’est celui d’une bataille perdue il y a 23 ans face une direction de la sécurité sociale complaisante à l’égard de l’Agessa et mal intentionnée à l’égard des cotisants de la Mda. Cette majoration forfaitaire était et reste abusive. Il est plus que temps d’y remédier.

4/ 2018 : CESSER ENFIN DE FAIRE COTISER LES ARTISTES-AUTEURS SUR DE MAUVAISES ASSIETTES SOCIALES, C’EST POSSIBLE ET NÉCESSAIRE.

La suppression des 15% de majoration sur les BNC rectifierait à juste titre l’assiette sociale des artistes-auteurs déclarant leurs revenus en BNC.Des milliers d’artistes-auteurs le demandent.

Reste l’iniquité des précomptes sur les recettes des artistes-auteurs qui cotisent à l’Agessa  sans être "affiliés" (94% des ressortissant de l’Agessa !). En effet l’Agessa n’a jamais vraiment appliqué la loi de 1994, ses pratiques illégales demeurent à ce jour et rien n’a été fait par les ministères de tutelle pour faire cesser ce désordre préjudiciable aux artistes-auteurs. Aujourd’hui encore les artistes-auteurs déclarés fiscalement en BNC cotisent sur leurs recettes et non sur leur bénéfice (même majoré de 15%). C’est notamment le cas des illustrateurs et des photographes non affiliés. Seule une minorité d’affiliés à l’Agessa (6% de ses cotisants) a bénéficié de la réforme de 1994, en revanche la totalité des cotisants de la Mda a pâti de cette même réforme ...

Reste aussi, dans une moindre mesure, l’iniquité des précomptes effectués sur les recettes des artistes-auteurs qui déclarent fiscalement leurs revenus en "traitement et salaires assimilés" en vertu de l’application de l’article 1 quater de l’article 93 du code général des impôts. Cet article a "pour objet de rapprocher les modalités d’imposition des revenus non salariaux (lorsque leur montant est connu avec certitude) de celles appliquées aux revenus salariaux. Mais, ce rapprochement n’a nullement pour effet de conférer aux revenus en cause le caractère de salaires. Aussi, nonobstant le régime fiscal auquel ils sont soumis, les produits de droits d’auteur perçus par les auteurs d’œuvres de l’esprit, conservent leur caractère de revenus non commerciaux. Le régime prévu au 1 quater de l’article 93 du CGI ne concerne qu’une catégorie précise de recettes : celles provenant de droits d’auteurs intégralement déclarés par des tiers."

Fort heureusement le code général des impôts a prévu une échappatoire, les artistes-auteurs concernés ont "la faculté de se placer sur option expresse, sous le régime de droit commun applicable à la catégorie des revenus non commerciaux".
(source bulletin officiel des impôts)

Rétablir des assiettes sociales équitables pour les artistes-auteurs est très simple :

  • Suppression des 15% de majoration abusive sur les BNC
  • Incompatibilité entre précompte et BNC, seuls les déclarants en traitement et salaires peuvent être précomptés.
  • Les artistes-auteurs déclarant en traitements et salaires qui s’estimeraient trop lésés par un recouvrement sur leurs recettes au lieu de leur bénéfice ont la possibilité d’opter pour une déclaration en BNC.


Chaque artiste-auteur peut ainsi choisir le régime fiscal qui lui convient le mieux en regard notamment des frais professionnels réels qu’il supporte :

  • s’il estime que ses frais sont quasiment négligeables et que ses revenus sont exclusivement constitués de droits d’auteur déclarés par des tiers, il peut déclarer ses revenus en "traitements et salaires assimilés". Ses recettes constituent alors son assiette sociale.
  • s’il estime que ses frais ne dépassent pas 34% de son BNC, il peut opter pour une déclaration en micro-BNC. Ses recettes minorées de 34% constituent son assiette sociale.
  • s’il estime que ses frais sont supérieurs à 34%, il peut opter pour une déclaration contrôlée (frais réels). Son BNC réel constitue alors son assiette sociale.

Majoration de 15% du BNC mise à part, ces trois catégories d’assiettes sociales sont d’ores et déjà celles pratiquées par les organismes sociaux.

Cette cohérence logique entre droit fiscal et droit social aurait du et pu être établi dès 1975 si l’Agessa n’avait pas dérogé dès sa création en 1977 aux dispositions légales du régime de protection sociale des artistes-auteurs. Que de préjudices et de temps perdu !