RETRAITE COMPLEMENTAIRE DES ARTISTES AUTEURS (5)

De l’intransigeance et de la condescendance du Président du RAAP à l’ambivalence des ministères de tutelle, le problème posé par la réforme sans concertation du RAAP reste entier.

Pour ceux qui ont raté les épisodes précédents, voir ce lien

• Des courriers inquiétants entre le président du RAAP et les ministères

- Le courrier du 26 septembre 2014 de Madame Marisol Touraine (cf cet article) proposait à Madame Fleur Pellerin « de différer temporairement l’adoption de ces évolutions règlementaires, afin de laisser le temps aux partenaires sociaux, s’ils le souhaitent, d’engager de nouvelles concertations ou de renforcer la pédagogie sur une réforme qu’ils ont portée. »

Les termes de cette lettre témoignaient déjà d’une confusion regrettable de la part de la Ministre de la Santé entre les « partenaires sociaux » : les organisations professionnelles des artistes-auteurs et les membres du CA du RAAP (individus élus en leur nom propre voir la composition).

Ce courrier avait néanmoins pu être interprété comme la préconisation d’un moratoire dans l’attente d’une concertation avec les organisations professionnelles.

- Le courrier du 16 décembre 2014 de Monsieur Frédéric Buxin, Président du RAAP, (voir pdf en fin d’article) à Marisol Touraine aborde trois sujets :

  • La réforme du régime social des artistes-auteurs MDA-AGESSA
  • La question du cumul emploi-retraite
  • La réforme du RAAP qui veut imposer une cotisation obligatoire de 8% du revenu.
    Les deux premiers points seront traités dans un article ultérieurs du CAAP.

Concernant la réforme du RAAP, Monsieur Buxin affirme « Cette réforme, comme toute réforme courageuse, a suscité également quelques réactions et expressions de mécontentement d’une minorité, certes agissantes, d’artistes auteurs. En effet, nous constatons que parmi les 1400 signataires de la lettre ouverte à la Ministre de la culture, seules 400 personnes, soit moins d’un tiers, étaient effectivement affiliées au RAAP. Pour notre part, nous nous sommes lancés dès cet été dans une opération de communication et de pédagogie. Dans ce cadre, nous avons entendu les difficultés actuelles des 400 auteurs de bandes dessinées et nous restons attentifs à leurs problématiques. Nous devons également nous inquiéter des 45000 autres auteurs professionnels que nous sommes et avant tout de ceux qui souhaitent s’ouvrir de vrais droits à la retraite. Il convient en outre de rappeler que, les auteurs de BD sont ceux qui seront le plus faiblement impactés par cette réforme puisqu’ils n’auront à leur charge que la moitié du taux de cotisation au RAAP, soit un taux de cotisation fixé à 4 %. le reste soit 4 % sera, pour ce qui les concerne, pris en charge par le droit de prêt en bibliothèque. »

En résumé le président du RAAP estime :

  • que les opposants à sa réforme sont minoritaires (selon lui, en tout 400 cependant qu’il semble présumer que les 45 000 autres artistes-auteurs du RAAP l’applaudissent, nombreux sont ceux qui seront étonnés de l’apprendre) ;
  • que ces opposants se trouvent exclusivement parmi les auteurs de BD (alors que cette opposition est largement partagée par l’ensemble des artistes-auteurs) ;
  • que les auteurs de BD feraient mieux de faire profil bas étant moins impactés que d’autres ;
  • qu’il doit se préoccuper « avant tout de ceux qui souhaitent s’ouvrir de vrais droits à la retraite »  ;
  • que les opposants à sa réforme sont idiots (refus de concertation avec les organisations professionnelles au « profit » d’une « opération de communication et de pédagogie » voir notre article à ce sujet et aussi le post sur le compte Facebook du CAAP du 24 octobre 2014.

Il conclut « En tout état de cause, alors que ce travail de communication commençait à porter ses fruits, à notre grande surprise et sans information préalable de votre part, il nous est annoncé, par des intermédiaires, que vous suspendez la réforme.
Aujourd’hui, ce travail de concertation et de communication est donc remis en cause par l’interprétation qui a été faite de votre courrier qui, adressé uniquement au Ministère de la culture vient d’être rendu public… Nous ne pouvons que regrettez l’absence de concertation avec nous au préalable… Je demande votre soutien et votre intervention sur ces différents dossiers. »

Ainsi, pour finir, le président du RAAP reproche vertement à la Ministre de la santé l’annonce du moratoire sur la réforme (courrier du 26 septembre 2014), il regrette que la Ministre ne l’ait pas consulté au préalable et lui demande son soutien. Cela prêterait à sourire si les enjeux n’étaient pas si graves.

- La réponse commune du 21 janvier 2015 des deux ministères au courrier de Monsieur Buxin (voir pdf en fin d’article) n’est guère rassurante.

« Comme vous le savez, les règles du régime complémentaire de retraite des artistes et des auteurs sont librement décidées par les professionnels, dès lors qu’elles s ’inscrivent dans le cadre fixé par les dispositions législatives et réglementaires. Plusieurs organisations professionnelles des artistes et des auteurs nous ont toutefois fait part d’une inquiétude liée à l’évolution programmée des taux de cotisation au régime complémentaire, inscrite dans la réforme… La mise en œuvre de cette réforme, qui doit entrer en vigueur au 1er janvier 2016, suppose la modification du décret de 1962 instaurant le régime ainsi que celle de ses statuts, par arrêté. Les mesures que vous proposez devant faire l’objet d’une mise en œuvre au 1er janvier 2016, les textes réglementaires devront donc être publiés au plus tard au cours du deuxième semestre de 2015.
Ces six mois doivent permettre de poursuivre le travail de concertation afin de répondre aux interrogations qui ont pu être soulevées par les organisations professionnelles. La direction de la sécurité sociale, en lien étroit avec les services du ministère de la culture et de la communication, est à votre disposition pour vous apporter son appui technique dans le cadre d’une démarche dont nous souhaitons qu’elle puisse conduire à un consensus le plus large possible. Il appartiendra ensuite au Conseil d’administration du RAAP, et à lui-seul , de décider si ces échanges le conduisent, ou non, à proposer des ajustements au projet de réforme qu’il a adopté. »

En résumé, les ministères font mine de croire qu’un « travail de concertation » avec les organisations professionnelles a commencé (ce n’est nullement le cas) tout en proposant un « appui technique » si tel est le bon vouloir du Président du RAAP (or nul n’ignore aujourd’hui que tel n’est pas son bon vouloir). Plus grave encore, les ministères semblent implicitement confirmer la date d’application de cette réforme litigieuse au 1er janvier 2016 et réaffirment le caractère décisionnaire du CA du RAAP quel que soit l’éventuel résultat des éventuelles concertations avec les organisations professionnelles. L’appel à un « consensus le plus large possible » est donc ici de l ‘ordre du vœu pieux.

- Les ministères doivent prendre leur propre responsabilité

Le ministère de la santé (plus précisément, la DSS, Direction de la Sécurité Sociale) est à l’origine de la réforme votée par le CA du RAAP en 2013. Se cacher derrière le petit doigt du CA du RAAP n’est guère digne de la haute fonction publique (voir notre article).

Les ministères rappellent à juste titre que la réforme envisagée implique des modifications règlementaires (« suppose la modification du décret de 1962 instaurant le régime ainsi que celle de ses statuts, par arrêté. »). Les modifications qui seront ou non apportées à la réglementation en vigueur sont de la pleine responsabilité des ministères de tutelle.

Il appartient la puissance publique, à elle seule (et non au CA du RAAP) :

  • de mener une concertation digne de ce nom avec les partenaires sociaux, donc avec les organisations professionnelles des artistes-auteurs
  • de décider in fine du contenu et de la date d’une mise en application de toute réforme.

Les ministères ne peuvent se dédouaner sous couvert que « les règles du régime complémentaire de retraite des artistes et des auteurs sont librement décidées par les professionnels  ». Doit-on ici comprendre que les artistes-auteurs opposés à cette réforme au taux de 8% ne font pas partie des « professionnels » (en plus d’être minoritaires et idiots) ? Leurs organisations professionnelles sont-elles « non professionnelles » ?

- Les organisations professionnelles doivent également prendre leur responsabilité

Les administrateurs du RAAP sont élus en leur nom propre et non délégués par une organisation professionnelle. Comment s’articule leur position en tant qu’individu membre du CA du RAAP et la position de leur éventuelle organisation professionnelle ?

Si l’on s’en tient aux quatre membres du Bureau du RAAP.

Le Président du RAAP et Vice-Président de l’IRCEC  : Frédéric Buxin est photographe. Il est membre de l’UPP (Union des Photographes Professionnels) qu’il a présidé en 2009 et 2010. L’UPP est-elle sur les mêmes positions que Frédéric Buxin concernant la réforme du RAAP à 8% ?

Le Vice-Président du RAAP, Dominique Lebrun est écrivain et journaliste indépendant, à notre connaissance, il n’est membre d’aucune organisation professionnelle. En revanche, il est membre de la SGDL (Société des Gens de Lettre) dont il a été Secrétaire Général de 2008 à 2014. Depuis 2014, il est Vice-Président aux affaires sociales de la SGDL. La SGDL est-elle sur les mêmes positions que Dominique Lebrun concernant la réforme du RAAP à 8% ?

La Trésorière du RAAP, Marie-Noëlle Bayard est designer textile et styliste, elle est membre de l’AFD (Alliance Française des Designers) dont elle est trésorière.
L’AFD est-elle sur les mêmes positions que Marie-Noëlle Bayard concernant la réforme du RAAP à 8% ?

Le Secrétaire du RAAP, Patrick Lemaître est compositeur, il est membre du SNAC (Syndicat National des Auteurs et des Compositeurs), il a été membre du Conseil Syndical du SNAC de 1983 à 2003, il est actuellement Vice-Président de l’UNAC (Union nationale des auteurs et des compositeurs).
Le SNAC et l’UNAC sont-ils sur les mêmes positions que Patrick Lemaître concernant la réforme du RAAP à 8% ?

Plus largement, il appartient à toutes les organisations professionnelles des artistes-auteurs de donner leur position en regard de la réforme du RAAP programmée et décidée par son CA.

Les artistes-auteurs - syndiqués ou non - ont le droit de savoir les positions qui sont ou seront défendues en leur nom par chacune des organisations professionnelles.

Le CAAP comme toujours est favorable à un dialogue constructif tant avec les autres organisations professionnelles des artistes-auteurs qu’avec les ministères de tutelle.

- La gouvernance problématique du RAAP : un sujet de réforme

Le désaccord entre le CA du RAAP et nombre d’organisations professionnelles découle d’un important problème de gouvernance auquel il conviendrait de remédier pour l’avenir.

Contrairement au droit commun, notamment en matière de sécurité sociale, le CA du RAAP est composé d’individus et non d’organisations professionnelles. En application du décret n° 2011-2074 du 30 décembre 2011 relatif à la gouvernance : « Sont éligibles tous les électeurs justifiant du paiement d’au moins cinq cotisations annuelles, et au collège des prestataires, tous les bénéficiaires d’une retraite de droit propre au 31 décembre de l’année précédant les élections ».

Cette disposition anormale témoigne d’un déficit de professionnalisme du secteur des artistes-auteurs et d’une négligence coupable des ministères de tutelle. Il est vrai qu’il est plus facile de téléguider un CA composé d’individus qu’un CA composé d’organisations professionnelles c’est-à-dire de structures dont la compétence et l’objet exclusif est la défense des intérêts moraux et matériels des professionnels qu’elles représentent… Depuis fort longtemps hélas la Direction de la Sécurité Sociale aime à confondre les pressions fortes qu’elle exerce en tant que tutelle sur les membres des conseils d’administration des organismes sociaux avec un dialogue social digne de ce nom. Cette situation n’est plus tenable. La crise actuelle avec le RAAP le démontre largement. La gouvernance du RAAP doit être réformée et la DSS doit apprendre à dialoguer avec les organisations professionnelles.

Le CAAP demande une fois de plus aux deux ministères de tutelle (affaires sociales et culture) l’ouverture d’une négociation avec l’ensemble des organisations professionnelles des artistes-auteurs concernant l’évolution des dispositions réglementaires du régime de retraite complémentaire IRCEC-RAAP.

Documents à télécharger

Réponse commune des Ministères de la Culture et des Affaires sociales