RÉFORME DU RÉGIME DE SÉCURITÉ SOCIALE DES ARTISTES AUTEURS

Saison 2 - épisode 2 : une instrumentalisation des conseils d’administration qui hypothèque l’avenir de la réforme

1/ La présentation du rapport sur la réforme aux conseils d’administration

La Direction de la Sécurité Sociale (DSS) a présenté mi-novembre le rapport aux conseils d ’administration des deux organismes sociaux. Elle a précisé en préambule que les inspections de l’IGAS et l’IGAC sont indépendantes et qu’en conséquence les propositions et recommandations contenues dans leur rapport n’engagent pas l’administration.

Cette présentation s’est appuyée sur un document de synthèse de la DSS (cf document en pdf en fin d’article).

La DSS a indiqué que la date fixée pour la mise en œuvre de la caisse était octobre 2014, à la fin du mandat des administrateurs et que le dispositif devrait faire partie du projet de loi sur la création artistique prévu pour le printemps 2014. La concertation se déroulerait de janvier à mars 2014 et la mise en œuvre concrète des décrets se ferait de mars à octobre 2014.

Nous avons vu précédemment (voir l’article) que ce calendrier est caduque, l’administration ayant pendant 5 mois refusé la communication du rapport aux organisations professionnelles. Aujourd’hui envisager moins de 3 mois de concertation pour une réforme aussi importante et complexe reviendrait incontestablement de la part du gouvernement à opter pour un simulacre de concertation.

En 6 mois, les représentants des ministères n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur les recommandations du rapport qu’ils souhaitent retenir ; à ce jour, ils n’ont toujours pas communiqué leurs propres positions aux partenaires sociaux ; mais parallèlement ils envisagent d’obtenir un accord de l’ensemble des organisations professionnelles des artistes auteurs et des diffuseurs en moins de 3 mois !

Outre ce calendrier caduque, la DSS a indiqué que « l’objet de la réunion était de recueillir les observations et les réactions des administrateurs » et a précisé que les recommandations retenues par les ministres concernés seraient, pour leur part, communiquées en janvier 2014.

2/ Un vote illégal de l’Agessa

Au conseil du 15 novembre, les administrateurs de la MDA-SS ont posé des questions au fur et à mesure de la présentation du rapport par la DSS, la majorité d’entre eux n’a pas souhaité se positionner « à chaud » sur les recommandations. D’autant que le conseil d’administration n’est pas l’instance de concertation sur la réforme.

C’est en effet l’ensemble des organisations professionnelles qui doit être consulté, non les administrateurs. A fortiori du fait que les administrateurs sont élus en tant qu’individus et siègent intuitu personae (nota bene : contrairement à n’importe quel organisme social, les membres des conseils d’administration de l’Agessa et de la MDA sont actuellement des personnes physiques et non des personnes morales désignant leur représentant).

Après discussion sur le rapport, pour leur part, les administrateurs de l’Agessa ont voté au conseil du 13 novembre 2013 le recouvrement par précompte de la cotisation vieillesse des assujettis. En l’état actuel de la législation, cette décision constitue une violation de l’article R382-27 du code de la sécurité sociale qui exclut expressément la cotisation vieillesse du précompte. (Consulter nos sources).

Il n’aura échappé à personne que cette décision du conseil de l’Agessa correspond à la 1ère recommandation du rapport sur la réforme.

Sur le fond, comme nous l’avons vu précédemment (voir l’article) cette recommandation nécessite des amendements importants pour éviter les trop-perçus, notamment concernant pour les déclarants en BNC dont l’assiette sociale est inférieure à l’assiette du précompte mais aussi pour les artistes auteurs dont les revenus cumulés dépasseraient le plafond de la sécurité sociale. Elle présuppose un remboursement automatique de ces éventuels trop-perçus et une interopérabilité informatique notamment avec la CNAV (Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse) et la CNAM (Caisse Nationale d’Assurance Maladie) pour garantir les droits sociaux attenants. En résumé, de nombreuses questions doivent être réglées en amont. Or, à ce jour, elles ne le sont pas et leur résolution n’est pas programmée.

En l’absence des mesures corrélatives nécessaires qui constituent des pré-requis, le recouvrement par précompte de la cotisation vieillesse constituerait une importante aggravation de la situation des non affiliés de l’Agessa qui verraient leurs cotisations sociales doubler et ce, sans garantie concernant leurs droits sociaux.

La recommandation N°1 est consubstantielle d’autres mesures à prendre dans le cadre général de la réforme. La décision isolée du conseil de l’Agessa le 13 novembre 2013, outre son illégalité, préjuge et empiète sur le processus de concertation, elle a été prise à l’insu des organisations professionnelles ( le rapport leur a été envoyé après ce vote…).

3/ Les budgets prévisionnels 2014 votés par les deux conseils confondent budget de fonctionnement et moyens financiers alloués à la mise en œuvre de la future réforme dont les contenus restent à négocier

Les conseils d’administration de la MDA-SS et de l’Agessa se sont à nouveau réunis en décembre 2013 pour le vote des budgets prévisionnels de 2014.

Un « projet de système d’information unique pour le régime des artistes-auteurs 2014-2016 » rédigé par les services administratifs leur a été remis en séance. Son coût global est estimé à plus de 5 millions d’euros.

Ce document spécifie : «  la décision prise par le conseil d’administration de l’Agessa le 13 novembre 2013 de mise en œuvre du recouvrement de la cotisation vieillesse auprès des assujettis par le précompte permet maintenant d’engager la refonte applicative des deux systèmes d’information. »

En présence des représentants des ministères de tutelles (ministère de la culture et ministère de la santé) qui siègent à titre consultatif dans les conseils d’administration, le directeur commun - sous couvert de budgets de fonctionnement - a fait voter par les conseils d’administration d’importantes dépenses informatiques relatives au projet de réforme alors que le processus de concertation n’a même pas commencé !

Indissociable de la première recommandation, la recommandation N° 27 « doter la caisse nationale de sécurité sociale des artistes auteurs d’un plan stratégique informatique garantissant les nouvelles missions et les échanges automatisés » est donc en train de se mettre en œuvre avant de connaître les mesures qui seront finalement retenues et avant toute concertation avec les organisations professionnelles.

4/ La lettre de mission du directeur (février 2013 - septembre 2014 )

Les ministères de tutelles spécifiaient dans la lettre de mission du 19 février 2013 au directeur commun : « Vous et vos services apporterez leur expertise sur le recouvrement de la cotisation vieillesse pour les auteurs assujettis, notamment dans le cadre du groupe de travail qui se réunira au premier semestre 2013, associant administrateurs, représentants des tutelles et vos services. Vous éclairerez ces travaux, tant pour ce qui concerne les solutions à mettre en œuvre pour l’avenir que pour le règlement des situations passées : évaluation du nombre de précomptés concernés et de l’impact des mesures à prendre. Nous attachons le plus grand prix à ce que ces solutions puissent être mises en application au plus tard le 1" juillet 2014. »

En résumé, les ministères de tutelles « attachent le plus grand prix » à ce que 30 ans de dysfonctionnements et de mauvaises pratiques à l’Agessa soient réglées en … 6 mois !

Outre son irréalisme, cette injonction est paradoxale. En effet rappelons que les ministères de tutelles - en charge du contrôle de légalité – portent elles-mêmes la responsabilité de ces pratiques illégales. Le non respect de la loi par l’Agessa constitue aujourd’hui, à juste titre, une des causes majeures de la réforme envisagée.

La réparation des préjudices causés par l’Agessa à ses plus de 190 000 non affiliés devrait être sa priorité en sus de la gestion courante.

Or plutôt que de se pencher sur « le règlement des situations passées » (dispense de précompte et remboursement des trop perçus pour les précomptés en BNC, cotisations rétroactives pour la retraite des non affiliés) et de prendre des mesures transitoires (commencer à identifier les non affiliés par exemple), l’Agessa met dès maintenant en œuvre les « solutions » qu’elle décide seule pour l’avenir : plan stratégique informatique et précompte de la cotisation vieillesse qui selon le directeur ne pourrait devenir effective que courant 2016. Ainsi entre commencer à régler le passif et hypothéquer l’avenir du régime, la direction de l’Agessa a fait son choix. Le conseil d’administration l’a entériné.

Quid des ministères de tutelles ? La tutelle de l’Etat constitue la contrepartie de l’autonomie de gestion accordée aux organismes de sécurité sociale. La tutelle publique est soumise au principe de légalité. Le droit d’opposition est une compétence instituée et encadrée par le droit. Le CAAP demande solennellement aux ministères de la santé et de la culture de ne pas reproduire leurs erreurs passées, donc de remplir leur devoir de tutelle en faisant respecter la loi.

Face à une décision illégale du conseil d’administration de l’Agessa et aux votes de budgets liés à cette décision dans les deux organismes, les ministères de tutelle ont le devoir d’exercer leur pouvoir d’opposition motivé par une irrégularité juridique suivi d’une inopportunité financière.

5/ Forger des outils sans savoir ce que l’on veut en faire : une aberration en marche ?

Il est fort inquiétant que soit conçu un système informatique, notamment la partie applicative métier cœur du système, sans connaître au préalable l’ensemble des tenants et des aboutissants liés aux diverses mesures à mettre en œuvre dans le cadre de la réforme et à leurs contraintes corrélatives (techniques, temporelles, budgétaires, etc).

Techniquement, chaque mesure n’a de sens qu’au sein d’un système cohérent, donc pensé - dès sa conception - globalement et dynamiquement.

Mettre en place un projet informatique « à la petite semaine », recommandation par recommandation, sans prérequis, sans concertation, sans chef de projet dédié, sans cahier des charges, bref sans tenir compte de l’ensemble de la réforme apparaît peu rationnel y compris budgétairement.

Compte tenu du nécessaire étalement dans le temps de la réforme : politiquement, la détermination des objectifs prioritaires relèvent de la concertation ; techniquement, la question de l’ordonnancement est cruciale et ne peut être évacuée au profit d’une gestion « à vue » décidée par la direction des services administratifs.

Raisonnablement, seules des mesures transitoires, budgétées distinctement des budgets de fonctionnement courants et ne préjugeant aucunement des mesures à négocier dans le cadre de la réforme, sont envisageables.

Document à télécharger

DSS Presentation rapport IGAS-IGAC