RÉFORME DU RÉGIME DE SÉCURITÉ SOCIALE DES ARTISTES AUTEURS

Saison 2 - épisode 3 : une caisse unique est envisageable, pas une annexion.

1/ NON à une annexion de la MDA par l’AGESSA.

Depuis quelque temps, des signes conséquents vont en ce sens :

  • en 2011, nomination du directeur de l’Agessa à la direction de la MDA ; départ de nombreux cadres de la MDA (dont l’agent comptable commun aux deux organismes), recrutement externe (sans promotion interne) ; volonté de cantonner le conseil d’administration de la MDA au rôle de « chambre d’enregistrement » ...
  • en mai 2012, rapprochement des implantations immobilières : déménagement de la MDA dans des locaux proches de ceux de l’Agessa sur un site dont la taille ne permet pas de regrouper les deux organismes.
  • en janvier 2013, arrêté du ministère de la culture accordant à certaines structures des branches de l’Agessa une hégémonie politique au sein du conseil de gestion du fonds commun de formation continue des artistes-auteurs (au détriment des arts visuels).
  • en novembre 2013, décision illégale du conseil d’administration de l’Agessa qui tient lieu de « feu vert » au directeur de l’Agessa pour engager la refonte applicative du système informatique dans l’objectif de mettre en place le précompte de la cotisation vieillesse et la caisse unique, et ce, avant toute concertation …

Les mauvaises pratiques de l’Agessa à l’égard de ses « assujettis » ont montré les dangers d’une dérive « boutiquière » qui privilégie la facilité en matière de collecte au détriment des droits sociaux des cotisants et de la qualité de service rendu aux usagers. Ce risque aujourd’hui est devenu commun aux deux organismes …

2/ Une informatique « made in Agessa », non merci !

Reproduire voire amplifier les erreurs du passé ?

Le système informatique de la MDA réalisé par un fournisseur externe est aujourd’hui obsolète. Les carences du système informatique « fait maison » de l’Agessa proviennent de sa conception même. Sa déficience est l’une des diverses causes du refus de certifier les comptes émis par le commissaire aux comptes de l’Agessa en 2012 (comptes néanmoins approuvés par le conseil d’administration …).

Le montant des frais informatiques de mise en œuvre facturés par l’Agessa au fonds de formation des artistes auteurs (plus de 300 000 euros, soit 6 fois plus que le montant des frais attribués à la MDA) pour une simple collecte supplémentaire a mis en évidence le surcoût de l’inefficience du système informatique de l’Agessa ainsi que la faiblesse de ses capacités évolutives.

Le système d’information de l’Agessa a été conçu au fil du temps d’une multitude de logiciels hétérogènes mal interconnectés, à chaque fonction correspond une application. On peine à imaginer que ce « système maison », nécessitant l’appel à un nombre de fournisseurs variés pour toute modification, même mineure, puisse être considéré comme une base fiable pour un futur système commun performant.

Toute « refonte applicative » dépend intrinsèquement des mesures qui seront ou non adoptées à l’avenir dans le cadre de la réforme et de leur nécessaires interrelations. Continuer – comme si de rien n’était - un « bricolage à la petite semaine » du système informatique de l’Agessa est un non sens.

3/ Langue de bois et rideau de fumée

Les conseils d’administrations des organismes sociaux sont, et c’est normal, composés de néophytes en matière informatique, directeur et représentants des tutelles inclus.

Le document « projet de système d’information unique pour le régime des artistes-auteurs 2014-2016 » a été remis en séance sur papier dans chaque conseil, les budgets prévisionnels ont été votés dans la foulée. A charge pour les administrateurs de lire et d’essayer (ou non) de comprendre a posteriori le document fourni.

L’objectif pour sa part est annoncé clairement :
« Ce document a pour but de :

  • revoir le contenu du projet de système d’information unique pour le régime des artistes-auteurs 2013-2015 en prenant en compte l’objectif de recouvrement de la cotisation vieillesse par le précompte des auteurs assujettis.
  • S’inscrire dans l’objectif de mise en place de la caisse unique qui est maintenant clairement affirmé. »

Il ne s’agit donc pas de la gestion courante des organismes mais bien de dispositions spécifiquement relatives à la réforme, et ce, avant toute concertation sur ses contenus. Les dispositions de ce document impactent globalement le régime des artistes auteurs ; ses incidences en termes sociaux, budgétaires et informatiques sont indissociables de l’ensemble des dispositions à négocier dans le cadre de la réforme.

« La décision prise par le conseil d’administration de l’Agessa le 13 novembre 2013 de mise en œuvre du recouvrement de la cotisation vieillesse auprès des assujettis par le précompte permet maintenant d’engager la refonte applicative des deux systèmes d’information … Le choix de l’appel ou du précompte aurait abouti à des solutions techniques et organisationnelle radicalement différentes. »

Cette affirmation pose question. Rappelons les termes du problème, actuellement les 22 426 affiliés et les 29 795 assujettis de la MDA règlent par appel leurs cotisations vieillesse, il en est de même des 14 083 affiliés de l’Agessa. Restent les 191 075 non affiliés de l’Agessa sur un total de 257 385 cotisants au régime en 2012.

Parmi ces 191 075 cotisants, l’Agessa ignore le nombre de déclarants en BNC ainsi que le nombre de cotisants ayant des revenus cumulés supérieurs au plafond de la sécurité sociale.

Seuls les déclarants en traitement et salaires seront éventuellement « précomptables » pour leurs cotisations vieillesse, si cette disposition est retenue dans les négociations à venir, disposition qui implique une modification du code de la sécurité sociale.

Sachant que l’Agessa ignore parmi les 191 075 cotisants, le nombre de cotisants à qui la future caisse devrait appeler la cotisation vieillesse (les BNC) et le nombre de ceux qui pourraient être précomptés (les TS), affirmer que le « choix » de l’appel ou du précompte aboutit « à des solutions techniques et organisationnelle radicalement différentes » pose question.

Un système informatique efficient doit permettre de collecter les cotisations sociales par appel pour les x déclarants en BNC et par précompte pour les y déclarants en traitement et salaire, sans préjuger des effectifs ni des uns et ni des autres, ces effectifs n’étant que des variables.

Lever l’impossibilité légale de précompter la cotisation vieillesse ne change donc rien à la nécessité d’un système de collecte mixte et évolutif (gestion des appels et gestion des précomptes). Ainsi on voit mal ce qui change radicalement la donne pour la conception du système informatique de base … A moins qu’il ne soit implicitement décidé au démarrage de prévoir informatiquement le précompte de tous les assujettis sans distinction, notamment sans prendre en considération leur régime fiscal, ni attendre l’interopérabilité avec la CNAM et la CNAV. Cette priorisation de la collecte au détriment des droits sociaux constituerait une régression sociale grave.

Rien ne vient infirmer dans le document l’hypothèse d’un système informatique aveuglément et exclusivement orientée sur la collecte (c’est actuellement le cas pour les non affiliés de l’Agessa). C’est-à-dire sans tenir compte des régimes fiscaux des cotisants, ni des délais pour que soit rendu possible le croisements de fichiers avec la CNAM et la CNAV permettant de garantir les droits sociaux.

Le seul prérequis spécifié est « la transmission obligatoire des numéros de sécurité sociale des auteurs par les diffuseurs 1% » … Concernant « les projets de dématérialisation avec la CNAC et la CNAM » le document se contente de noter qu’une « prise de contact est nécessaire avec les organismes concernés pour permettre de définir les dématérialisations envisageables et les délais associés ». Le document précise : « mise en production d’un premier système applicatif avec des fonctionnalités indispensables pour permettre le recouvrement de la cotisation vieillesse auprès des assujettis, puis finalisation du système dans un second temps (capacité à prioriser, à distinguer le confort de l’essentiel). ». Collecter les cotisations serait « l’essentiel » ; le respect des droits sociaux relèverait d’un « confort » dont on se préoccuperait plus tard ?

Outre ce point de départ très problématique pour la conception du système informatique de la future caisse, le document dénote d’autres choix d’avenir qui n’ont jamais été discutés en amont avec les représentants des artistes auteurs et des diffuseurs.

• Tout est fait pour faire perdurer deux implantations distinctes en dépit du projet de fusion.
Ainsi par exemple des travaux de rénovation des câblages physiques ont été engagés et effectués sur les deux sites. Ces mêmes travaux seraient à refaire sur un nouveau site commun. Le document précise « Si un regroupement devait avoir lieu avant les trois prochaines années, il faudrait revoir le plan d’architecture, le planning et le budget ».

• Considérer comme non prioritaire un guichet unique dématérialisé performant
Alors que l’un des problèmes majeurs à résoudre pour l’avenir est l’identification des trois quart des cotisants au régime, seule la livraison d’un site basique non interactif est envisagé et ce, au plus tôt fin 2015. La réalisation d’un site performant (permettant la télédéclaration, le télépaiement, la consultation d’espace personnels et le téléchargement d’attestations, …) est repoussé à une date indéterminée alors qu’un tel site permettrait d’accélérer l’identification et d’alléger considérablement le travail quotidien du personnel.

• La gestion des appels d’offre et des fournisseurs pose question
Pour l ‘outil « BMP », les services ont testés deux fournisseurs, leur choix se porte sur K2 une société américano/sud-africaine avec un environnement Microsoft plutôt que sur W4 société française avec un environnement java. « Il a donc été décidé de poursuivre avec K2 » précise le document. Un choix aussi engageant pour l’avenir ne nécessite-t-il pas une mise en concurrence plus large et l’appel à une expertise externe ?

• La question cruciale de la récupération des données est à peine évoquée
« La reprise des données sera délicate du fait de l’existence de deux systèmes dont les modèles de données divergent en beaucoup de points. Cela constitue un projet à part entière. »

En même temps que ce « planning de refonte » qui implique des « arbitrages rapides (pas de marge pour des temps de latence) » (sic), le document inclut des points positifs concernant la gestion courante, par exemple, la poursuite du projet de dématérialisation avec les URSSAF ou l’externalisation des sauvegardes.

L’amalgame entre gestion courante et projet de réforme n’est pas fait pour faciliter la compréhension du document, ni ses enjeux le plus souvent implicites …

4/ L’urgence d’une expertise externe aux services administratifs et la nécessité de ressources humaines dédiées à la conduite du projet de réforme

Sauf erreur de notre part, la gestion courante des deux organismes occupe à plein temps la direction et le personnel.

La mise en œuvre d’une fusion de deux organismes avec des changements substantiels ne peut que s’inscrire dans une méthodologie de conduite de projet qui comprend la définition de moyens, notamment en ressources humaines et outils de recherche opérationnelle. Toute conduite de changement passe par une allocation de ressources. Cet investissement minimum est une condition sine qua non de la réussite du projet de fusion qui doit être piloté comme un projet à part entière.

Une telle réforme ne peut se faire sans s’adjoindre l’expertise de personnes dont c’est le métier c’est-à-dire qui ont le recul et l’expérience de projets de fusion, tant d’un point de vue organisationnelle que technique.

La désignation d’un « chef de projet organisation » (en relation étroite avec un « chef de projet informatique ») dédié à la réforme est une nécessité aussi évidente qu’urgente.

Un chef ou directeur de projet est investi d’une mission à durée déterminée (le temps du projet), sa fonction ne figure pas dans l’organigramme de l’entreprise ou de l’organisation. Son « autorité » est fonctionnelle (liée au projet) et non pas hiérarchique. Il ne peut en aucun cas être confondu avec le directeur de l’organisme, ni être sous son autorité.

Il s’assure tant auprès des équipes de maîtrise d’ouvrage que des équipes de maîtrise d’œuvre :

  • que les travaux sont conduits dans les règles de l’art (standards qualité, méthode, techniques, règlementaires) et dans le respect du cadre fixé au projet (budgets, délais, réponse aux besoins)
  • que l’ensemble des impacts sur les différentes fonctions de l’organisation sont bien identifiés et pris en compte
  • que les difficultés éventuelles sont bien identifiées et anticipées suffisamment tôt
  • que les risques sont évalués et maîtrisés et que les mesures d’évitement sont prises
  • que des solutions sont proposées à la décision avec les argumentations suffisantes (avantages, inconvénients, scénarios, impacts, ...). Il veille également à donner les moyens au décideurs de hiérarchiser les décisions à prendre en fonction des enjeux (gestion des priorités), notamment par des outils d’ordonnancement.

La DSS n’ignore pas la mission et le profil de poste d’un chef ou d’un directeur de projet (comme en témoigne les recrutements sur le site de l’assurance maladie …).

Actuellement les ministères de tutelle semblent prendre à la légère le projet de réforme du régime des artistes auteurs, en effet, ils ne semblent toujours pas envisager de désigner un chef de projet, contrairement au bon sens et à la préconisation des rapporteurs …

5/ A ce jour, les écueils sont pleinement atteints contrairement aux objectifs.

  • transmettre le plus tardivement possible le rapport aux organisations professionnelles
  • ne pas leur laisser le temps d’analyser sérieusement le rapport
  • confondre création d’un organisme unique et annexion de la MDA par l’Agessa
  • confondre conseils d’administration et organisations professionnelles
  • confondre conseils d’administration et instance de négociation
  • confondre ordonnancement et planning approximatif
  • confondre budget de fonctionnement et ressources allouées à la réforme
  • confondre gestion courante et gestion d’un projet de fusion
  • confondre directeur des organismes et chef de projet de la réforme
  • prendre la réforme à la légère et ne pas lui allouer de ressources humaines spécifiques

Confusion, précipitation et défaut de concertation ne peuvent qu’avoir pour effet d’augmenter les résistances à la réforme. Est-ce le but recherché par les ministères ?