1/ Une réunion de présentation baptisée « concertation »
Une réunion s’est tenue le 14 décembre 2015 au ministère de la culture à l’initiative de la DSS (direction de la sécurité sociale du ministère des affaires sociales) pour présenter « les grandes lignes du mécanisme de régularisation des cotisations prescrites (RCP) qui pourrait être mis en œuvre dès 2016" et "pour recueillir les observations des organisations professionnelles sur les modalités proposées. »
En clair, suite aux diverses pratiques illégales de l’Agessa à l’égard de ses non affiliés (ici il est question des dizaines de milliers d’artistes-auteurs précomptés qui découvrent à leur retraite … qu’ils n’en ont pas), la DSS a présenté la circulaire qu’elle envisage de prendre prochainement pour le rachat volontaire de trimestres retraite.
Aucun document n’a été fourni en amont de la réunion aux organisations professionnelles sommées de donner leur avis « à chaud », sans information préalable.
Les modalités présentées sont parfaitement inacceptables : les artistes-auteurs auraient « une fenêtre de tir » de 2 ou 3 ans pour racheter volontairement la totalité des trimestres non cotisés (tout ou rien) et ce, à un prix prohibitif (avec une majoration des sommes dues sous couvert d’actualisation !).
Interpellés par le CAAP sur la question des remboursements des trop-versés par les non affiliés de l’Agessa en BNC, les représentants de la DSS ont prétendu découvrir le sujet ! Alors que ce problème bien connu est régulièrement posé à la DSS et aux ministères de tutelle (affaires sociales et culture) depuis plus de 3 ans (voir par exemple cet article).
La DSS a-t-elle l’intention de passer en force une fois de plus ? Mystère. A cette question, les représentants de la DSS ont répondu… qu’ils ne pouvaient pas répondre, qu’ils en référeraient à leur hiérarchie.
2/ le courrier des organisations syndicales suite à la réunion du 14 décembre 2015.
Paris le 29 décembre 2015,
Objet : régularisation des pratiques illégales de l’Agessa
Madame la Ministre,
Placés sous le contrôle tutélaire de votre ministère, deux organismes agréés assurent une mission de gestion de la sécurité sociale pour le compte du régime général : l’Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs (Agessa) et la Maison des artistes sécurité sociale (MDAss). Ils ont notamment pour mission de procéder au recensement permanent des artistes-auteurs et des diffuseurs ainsi que d’assumer les obligations des employeurs en assurant le recouvrement des cotisations et contributions du régime de sécurité sociale des artistes-auteurs.
Or, depuis sa création en 1978, en violation du code de la sécurité sociale, l’Agessa n’appelle pas les cotisations vieillesse aux assujettis qu’elle n’identifie pas (environ 200 000 artistes-auteurs soit les trois quart des artistes-auteurs) et fait cotiser les assujettis en BNC sur leurs recettes au lieu de leur bénéfice. Actuellement les cotisations précomptées par les diffuseurs ou les SPRD pour les assujettis de l’Agessa continuent de s’effectuer sans acquisition de droits sociaux et sur une mauvaise assiette pour les déclarants en BNC, faute de dispense de précompte.
Cette situation extrêmement dommageable pour les artistes-auteurs résulte d’une incurie du contrôle de légalité, la direction de la sécurité sociale (DSS) a laissé perdurer ces pratiques illégales depuis 38 ans, et ce, malgré nos alertes récurrentes et celles des rapports de l’IGAC-IGAS (de 2005 et 2013).
Ces pratiques de l’Agessa ont engendré d’importants préjudices. D’une part, l’absence d’acquisition de droits à la retraite des assujettis auprès du régime général et, d’autre part, des trop-versés pour les assujettis en BNC, ces derniers ayant toujours cotisé sur une mauvaise assiette (leurs recettes) via le précompte qui leur a été abusivement imposé par l’Agessa en leur refusant la dispense de précompte.
Dans un courrier conjoint avec Madame la ministre de la culture en date du 29 juillet 2015, vous vous êtes engagée à « rétablir les artistes auteurs dans l’ensemble de leurs droits sociaux ». Pour ce faire, la régularisation des pratiques illégales de l’Agessa doit porter non seulement sur les sous-cotisations pour la retraite mais aussi sur les sur-cotisations des déclarants en BNC. En regard des graves préjudices subis par les artistes-auteurs, la mise en œuvre de dispositifs réparateurs est une nécessité sur laquelle nous insistons depuis longtemps.
A l’initiative de la DSS, s’est tenue le 14 décembre 2015 au ministère de la culture une réunion dont l’objectif était de recueillir les observations des organisations professionnelles des artistes-auteurs sur un projet de circulaire relatif à la « régularisation des cotisations prescrites ».
Nous observons tout d’abord que ce projet de circulaire n’a pas été communiqué aux organisations professionnelles des artistes-auteurs, ni en amont de la réunion, ni pendant, ni même ultérieurement. Sur la forme, cette « méthode » de « concertation », (sans information préalable, ni base écrite) écarte toute possibilité d’étude et de réflexion en amont et témoigne d’un grand irrespect des partenaires sociaux que sont les représentants des organisations professionnelles des artistes-auteurs.
Sur le fond, les grandes lignes du projet de circulaire présentées oralement le 14 décembre 2015 par la DSS appellent de notre part les plus vives inquiétudes.
D’une part, le projet de circulaire vise uniquement à ouvrir la possibilité de paiements rétroactifs des cotisations vieillesse donc porte exclusivement sur les sous-cotisations. Une régularisation qui « rétablit les artistes auteurs dans l’ensemble de leurs droits », selon vos propres termes, doit nécessairement prendre aussi en compte les trop-versés.
Quel dispositif envisagez-vous pour le remboursement des cotisations indues payées par les assujettis déclarants en BNC abusivement précomptés socialement sur leurs recettes ? Nous vous prions instamment de répondre à cette question cruciale.
D’autre part, les modalités présentées et envisagées par la DSS pour le rachat de trimestres vieillesse non cotisés sont parfaitement inacceptables : les artistes-auteurs auraient « une fenêtre de tir » de 3 ans (2016, 2017, 2018) pour racheter volontairement la totalité des trimestres non cotisés (« tout ou rien ») et ce, à un prix prohibitif (avec une majoration très conséquente des sommes dues).
L’Etat porte l’entière responsabilité de la situation dommageable faite aux artistes-auteurs. Il incombe à votre ministère de mettre en place un dispositif réparateur efficient, non un simulacre dont pratiquement personne ne pourrait se saisir.
Compte tenu des préjudices subis et de leur cause, le rachat de trimestres manquants doit être pleinement et facilement rendu possible pour l’ensemble des artistes-auteurs lésés, en s’approchant éventuellement des conditions générales mais surtout en les adaptant à cette situation très particulière des artistes-auteurs.
A l’instar des dispositifs existants de rachat de trimestres vieillesse et conformément au droit commun, les demandes d’avis de situation en vue d’une éventuelle régularisation doivent pouvoir être faites par les artistes-auteurs à tout moment, sans aucune restriction dans le temps (et non à une période prédéfinie et limitée à 3 ans).
Les artistes-auteurs lésés doivent pouvoir obtenir de la caisse d’assurance retraite et de santé au travail (Carsat) l’établissement d’un avis de situation avec un relevé de carrière qui identifie les trimestres manquants (validés sur justificatifs) ainsi que le coût de leur éventuel rachat. L’information de la Carsat doit permettre à l’artiste-auteur de mesurer l’impact d’un éventuel rachat sur l’intégralité de ses droits à la retraite de base.
Les cotisations doivent être calculées suivant les dispositions en vigueur à l’époque où elles auraient dû être versées et ce, sans être affectées des coefficients de revalorisation ou d’actualisation en vigueur à la date du versement. Cette impérative exonération de toute majoration est une forme d’indemnité qui vient partiellement compenser le préjudice subi en raison de la défaillance de l’organisme social sous la tutelle de l’Etat.
Suite à l’établissement de l’avis de situation et à l’identification des trimestres manquants, les artistes-auteurs lésés doivent pouvoir effectuer volontairement le rachat d’un ou plusieurs trimestres manquants « au fil de l’eau » selon leurs possibilités (qui sont variables dans le temps par nature même des activités artistiques) et ce, jusqu’à épuisement des périodes à régulariser.
Enfin il convient que ces modalités de régularisation soient applicables aux artistes-auteurs déjà retraités afin de permettre la revalorisation de leur pension.
Vous mesurerez sans peine l’importance de l’écart entre les dispositions envisagées le 14 décembre 2015 par la DSS et des mesures réparatrices adaptées à la regrettable situation des trois quart des artistes-auteurs. Le projet de circulaire présenté n’a recueilli l’assentiment d’aucune organisation professionnelle d’artistes-auteurs.
Nous vous demandons donc de suspendre ce projet de circulaire et de prévoir dans les meilleurs délais un véritable dialogue social avec les organisations professionnelles des artistes-auteurs afin d’envisager un dispositif qui rétablisse effectivement les artistes-auteurs dans l’ensemble de leurs droits sociaux.
Dans l’attente de vous lire, nous vous remercions de l’attention que vous porterez à ce courrier. Nous vous prions, Madame la ministre d’agréer l’expression de notre haute considération.
AdaBD (Association des Auteurs de Bandes Dessinées)
CAAP (comité des Artistes Auteurs Plasticiens)
SELF (Syndicat des Ecrivains de Langue Française)
SNAA-FO (Syndicat National des Artistes Auteurs FO)
SNAPcgt (Syndicat National des Artistes Auteurs Plasticiens CGT)
SNP (Syndicat National des Photographes)
SNSP (Syndicat National des Sculpteurs Plasticiens)
UNPI (Union Nationale des Peintres illustrateurs)