LA BELLE VICTOIRE DES SYNDICATS D’ARTISTES AUTEURS QUEBECOIS ET CANADIENS !

Le 14 mai 2014, les deux organisations professionnelles nationales qui représentent les auteurs d’arts visuels, le CARFAC (Canadian Artists Representation / Le Front des artistes canadiens), et le RAAV (Regroupement des artistes en arts visuels du Québec) ont obtenu gain de cause face au Musée des Beaux-arts du Canada (MBAC) pour l’établissement d’une rémunération minimale versée à tout artiste professionnel dans le cadre d’une diffusion ou d’une commande d’œuvres. Cette avancée sociale au Canada est une brèche importante dans la « culture de la gratuité » largement pratiquée ailleurs.

1/ L’historique

« En 2003, le RAAV et CARFAC entament une négociation avec le Musée des beaux arts du Canada (MBAC) dans le but de signer une première entente-cadre en vertu de la loi fédérale sur le Statut de l’artiste. Cette entente concerne le traitement accordé aux artistes dont le musée expose ou utilise les œuvres artistiques, les honoraires professionnels et les redevances minimums obligatoires de droit d’auteur. »

En octobre 2007, le MBAC remet en question le pouvoir même des associations professionnelles (syndicats d’artistes) de négocier des tarifs minimums pour les droits d’auteur, créant une impasse qui force le départ du RAAV et de CARFAC de la table des négociations. En effet, « les deux associations, s’appuyant sur plusieurs décisions du Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs (TCRPAP) et sur de nombreuses ententes déjà en existence, concluent logiquement que la négociation de tarifs minimums de droits d’auteur est bien de leur ressort et ne nécessite pas de cession de droits puisqu’il s’agit de négociation collective et non de la négociation d’un contrat individuel. »

De son côté le musée estime qu’il y a un conflit entre la Loi sur le droit d’auteur et la Loi sur le statut de l’artiste. Selon le musée, la Loi sur le droit d’auteur, qui protège les droits de propriété intellectuelle des artistes, l’emporte sur la Loi sur le statut de l’artiste qui, elle, prévoit des mécanismes de représentation collective permettant la négociation d’améliorations des conditions de travail des professions artistiques. Les associations sont d’avis contraire, à savoir que les deux lois se complètent parfaitement (ce qui est d’ailleurs l’avis du Tribunal - TCRPAP) et que la négociation de tarifs minimum obligatoires pour le musée permet aux artistes d’être assurés d’un minimum qu’ils peuvent bonifier dans le cadre de la négociation de leur contrat individuel. Le musée prétend que l’imposition d’un tarif minimum restreint le droit de l’artiste de ne rien demander pour l’utilisation de ses œuvres… »

2/ Le bras de fer judiciaire

En réponse à cette décision et afin que le Musée des Beaux-arts du Canada revienne à la table des négociations, le RAAV et CARFAC ont décidé de déposer une plainte au Tribunal Canadien des Relations Professionnelles Artistes-Producteurs (TCRPAP) pour « négociation de mauvaise foi », une entorse grave à la loi sur le Statut de l’artiste. L’objectif était de poursuivre et de terminer la négociation entamée depuis 2003, donc d’obliger le musée à revenir à la table des négociations. Le Musée des Beaux-arts du Canada fut bel et bien reconnu coupable en 2012 après cinq années de litiges, mais il a contesté cette décision devant la Cour fédérale d’appel et en est ressorti gagnant un an plus tard en 2013.
Cette décision a créé un véritable précédent très nuisible pour l’ensemble des associations d’artistes du Québec et du Canada, puisqu’elle remettait en question plusieurs ententes-cadres négociées depuis les années 90 en vertu de la loi fédérale sur le statut de l’artiste et, surtout, le pouvoir des organisations professionnelles des auteurs d’art visuel (RAAV et CARFAC) d’améliorer les conditions de vie des artistes qu’elles représentent par l’établissement de tarifs minimums pour les honoraires professionnels et les droits d’auteur.

Suite à la décision de la Cour fédérale d’appel, la Cour suprême a autorisé CARFAC et le RAAV à faire appel en mars 2013. Ces derniers ont alors résolu de poursuivre la bataille juridique et de mener une campagne de dons auprès des artistes pour pouvoir récolter les fonds nécessaires (environ 50 000 $, tandis que le MBAC a investi plus de 500 000 $ de fonds publics en frais légaux contre les deux associations professionnelles des auteurs d’art visuel).
Le 14 mai 2014, la Cour Suprême du Canada a finalement tranché en faveur des artistes et a accueilli la demande du RAAV et de CARFAC de renverser la décision de la Cour d’appel fédérale et de rétablir celle du Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs (TCRPAP). Elle a donc réaffirmé que les deux associations professionnelles qui représentent les artistes sont tout à fait habilitées à négocier avec les diffuseurs et les producteurs fédéraux des tarifs minimums de droit d’auteur non seulement pour les œuvres de commande mais aussi pour les œuvres préexistantes.

Christian Bédard, Directeur général du RAAV, affirme ainsi que la décision de la Cour suprême « confirme le droit des associations d’artistes d’agir pleinement dans le cadre de négociations collectives avec les agences du gouvernement fédéral pour améliorer les conditions socioéconomiques des artistes » et qu’elle « est vraiment une mise en valeur de l’apport des artistes à la société, de leur droit d’être rémunéré-e-s adéquatement et de négocier collectivement pour améliorer leurs conditions de vie. »

En toute clarté et en toute transparence, la grille tarifaire et les minima recommandés sont en ligne, ils sont réactualisés en français et en anglais chaque année ici.

3/ Présentation des principaux acteurs au Québec et au Canada

  • Le RAAV (Regroupement des artistes en arts visuels du Québec) : Fondé en 1989, le Regroupement des artistes en arts visuels du Québec, le RAAV, est l’organisation mandatée pour représenter l’ensemble des artistes professionnels du Québec ayant une démarche de création en arts visuels. Le mandat du RAAV émane de la Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, des métiers d’art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs (Loi S-32.01). Cette loi définit les critères de professionnalisme des créateurs (les artistes), réglemente leur représentation collective et oblige les artistes et les diffuseurs à signer des contrats lors de toute utilisation d’œuvres. Le RAAV est gouverné par un conseil d’administration formé majoritairement d’artistes élus par l’assemblée générale de ses membres. Son champ d’action touche tous les aspects de la carrière artistique des auteurs en arts visuels. Site : http://www.raav.org
  • Le CARFAC (Canadian Artists Representation / Le Front des artistes canadiens) : Fondé par des artistes en 1968, Canadian Artists’ Representation/Le Front des artistes canadiens (CARFAC), est un organisme pancanadien ayant pour objectif de promouvoir les arts visuels au Canada et d’encourager un climat socioéconomique propice à la production d’œuvres d’art, ainsi que de mener des recherches et des projets éducatifs visant l’accomplissement de cette mission. Le CARFAC a été reconnu par la législation sur la Loi sur le statut de l’artiste : en 1999, le tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs certifie CARFAC, dans le cadre de cette loi, comme le représentant officiel des artistes en arts visuels et médiatiques lors des négociations collectives menées à l’échelon fédéral. Site : http://www.carfac.ca/lang-pref/fr/
  • Le TCRPAP (Tribunal Canadien des Relations Professionnelles Artistes-Producteurs visant le droit d’auteur) : Créé en 1995, le TCRPAP a pour but l’application de la Loi concernant le statut de l’artiste et régissant les relations professionnelles entre artistes et producteurs au Canada (Loi canadienne sur le statut de l’artiste ou L.C.S.A.) qui lui a conféré ses pouvoirs et sa juridiction. Le Tribunal est l’un des trois organismes qui régissent les relations de travail qui relèvent de la compétence fédérale ; les deux autres sont le Conseil canadien des relations industrielles et la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Les producteurs assujettis à la compétence du Tribunal sont les entreprises de radiodiffusion qui relèvent du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, les ministères fédéraux et la majorité des sociétés d’État et des organismes fédéraux (notamment l’Office national du film et les musées nationaux).
    Les artistes autonomes visés par la compétence du Tribunal comprennent les artistes régis par la Loi sur le droit d’auteur (comme les écrivains, les photographes et les compositeurs de musique), les interprètes (comme les acteurs, les musiciens et les chanteurs), les réalisateurs et d’autres professionnels qui participent à la création d’une production par des activités comme la conception de l’image, de l’éclairage ou des costumes .

Le mandat conféré par la Loi au Tribunal est le suivant :

  • définir, dans les limites de sa compétence, les secteurs d’activité culturelle appropriés aux fins de la négociation collective entre les associations d’artistes et les producteurs
  • accréditer les associations d’artistes qui doivent représenter les artistes autonomes qui œuvrent dans ces secteurs. Les paramètres pris en compte pour définir la représentativité d’une association sont : la communauté d’intérêts des artistes en cause, l’historique des relations professionnelles entre les artistes, leurs associations et les producteurs concernés en matière de négociation d’accords-cadres et de toutes autres ententes portant sur des conditions d’engagement d’artistes, ainsi que des critères linguistiques et géographiques. Une fois l’accréditation obtenue, l’association d’artistes est investie dès lors du droit exclusif de négocier des accords-cadres au nom des artistes du secteur visé. Un accord-cadre précise les conditions minimales selon lesquelles un producteur retient les services ou commande une œuvre d’un artiste autonome dans un secteur donné.
  • statuer sur les plaintes de pratiques déloyales et autres affaires qui sont déposées par les artistes, les associations d’artistes, les producteurs ou les arbitres

4/ La législation applicable au secteur des arts visuels au Canada et au Québec 

Diverses lois réglementent et encadrent la création, la reproduction et la diffusion d’oeuvres artistiques.

Les lois fédérales sont promulguées par le Parlement fédéral et s’appliquent au Canada.

En arts visuels au Québec, trois lois balisent le milieu : la loi canadienne sur le statut de l’artiste, la loi sur le droit d’auteur et la loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, des métiers d’art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs.

  • La Loi québécoise sur le statut de l’artiste traite de la reconnaissance du statut professionnel des artistes (artistes plasticiens mais également artisans d’art et auteurs), de certains droits fondamentaux qui leur sont conférés, et des contrats spécifiques au secteur des arts plastiques. Elle a été promulguée par le Parlement du Québec en 1988 et ne s’applique donc qu’au territoire québécois. Site : http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=2&file=/S_32_01/S32_01.html
  • Le Code civil du Québec encadre la pratique contractuelle et propose les règles générales appliquées aux contrats.

Sources d’information :

  • « La relation artiste-diffuseur en arts visuels : vers un nouveau paradigme », RAAV, août 2006
  • « Guide pratique à l’intention des artistes en arts visuels : Cadre légal », RAAV, 2010
  • « Guide pratique à l’intention des artistes en arts visuels : les centres d’artistes », RAAV, 2010
  • « Le RAAV et CARFAC devant la Cour suprême », RAAV, 2013
  • « La Cour suprême entendra un litige entre des artistes et le Musée des beaux-arts du Canada », journal Le Devoir, 16 août 2013 :
  • http://www.ledevoir.com/culture/arts-visuels/385283/la-cour-supreme-entendra-un-litige-entre-des-artistes-et-le-musee-des-beaux-arts-du-canada
  • Frédérique DOYON, « L’épineux dossier des droits d’exposition devant la Cour suprême », journal Le Devoir, 13 mai 2014 : lien
  • « La Cour Suprême : unanime en faveur des associations d’artistes », article en date du 14 mai 2014, site du RCAAQ, consulté le 2 juillet 2014
  • http://www.rcaaq.org/html/fr/nouvelles_details.php?id=20140
  • « Cour suprême du Canada : motifs de la décision en faveur du RAAV et de CARFAC », site du RAAV, consulté le 2 juillet 2014 : lien