1/ La victoire des syndicats d’artistes au Canada
La loi canadienne oblige les diffuseurs canadiens à des négociations collectives avec les organisations professionnelles d’artistes reconnues, et ce, désormais sans contestation possible grâce à la récente décision de la Cour suprême (lien voir article caap LA BELLE VICTOIRE DES SYNDICATS D’ARTISTES AUTEURS QUEBECOIS ET CANADIENS ).
Cette victoire est une avancée importante même si elle ne s’applique à ce jour qu’aux institutions culturelles administrées par le gouvernement fédéral (Musée des beaux-arts du Canada, Musée de la guerre, Office national du film, Société Radio-Canada, etc...).
Environ la moitié des artistes au Canada ont un revenu artistique inférieur à 8 000 dollars par an (soit 5 000 euros par an), en France la situation des artistes est encore pire près de 70 % d’entre eux gagnant moins de 4200 euros par an.
L’établissement d’un cadre de négociations collectives entre représentants des auteurs d’arts visuels et représentants des diffuseurs est une nécessité évidence en France comme au Canada.
2/ Le cas particulier du Québec
La situation des artistes au Québec n’est pas sans rappeler celles des artistes en France. Le RAAV témoigne ainsi : « Plusieurs histoires d’horreur circulent racontant des pressions indues exercées par certains diffuseurs dans le cadre de négociations de contrats avec des artistes dont le besoin de visibilité est primordial. Plusieurs situations où l’attitude paternaliste ou cavalière de diffuseurs envers des artistes ont laissé une amertume profonde chez ces derniers. Il y a eu trop de contextes où les difficultés financières d’un diffuseur ont servi de prétextes pour flouer les artistes ou leur demander de se sacrifier en donnant des œuvres. Des diffuseurs ont souvent demandé aux artistes de céder leurs droits d’auteur, de faire du bénévolat et souvent l’artiste finissait par s’endetter pour avoir une exposition chez un diffuseur pourtant déjà soutenu par l’État. On pourrait continuer longtemps cette litanie des difficultés, voire d’injustices, vécues par les artistes, et pas toujours par des débutants. Pourtant, on le sait bien, malgré leurs difficultés financières et toutes les embûches qu’ils et elles rencontrent pour exercer leur profession, les artistes sont toujours les premiers à exprimer leur générosité, à donner, toujours donner... ».
Les régimes légaux ne sont pas exactement les mêmes au Canada et au Québec (voir article du caap La législation applicable au secteur des arts visuels au Canada et au Québec) . A ce jour, la loi québécoise relative au statut professionnel de l’artiste n’impose pas de négociation collective obligatoire entre représentants des artistes (RAAV) et représentants des diffuseurs (RCAAQ et SMQ).
Le RAAV revendique depuis plusieurs années la modification de cette loi québécoise. Mais plutôt que de changer la loi, actuellement le Ministère de la culture et des communications du Québec préfère superviser des « discussions » entre le RAAV et les deux associations de diffuseurs pour établir des contrats-types et des normes pour de meilleures pratiques de diffusion. Le RAAV travaille ainsi notamment avec la SMQ et le RCAAQ sur « une trousse de contrats ».
3/ Quelles leçons tirer des exemples canadiens et québécois pour améliorer en France les conditions d’exercice professionnel des auteurs d’art visuel ?
Détermination, courage et solidarité des organisations représentants les auteurs d’art visuel. Si le courage et l’acharnement des artistes militants canadiens ont permis l’obtention de cette avancée fondamentale, il s’agit également de saluer leur solidarité. « Toutes les avancées sociales en matières de droits et d’amélioration des conditions de vie ont été obtenues par la solidarité et seulement par la solidarité. Le RAAV croit que les artistes du domaine des arts visuels sont capables de faire abstraction de leurs choix esthétiques quand vient le temps de travailler ensemble pour l’amélioration des conditions de vie et de pratique de tous les artistes de leur secteur. »
Faire systématiquement passer l’intérêt général des auteurs d’art visuel avant l’intérêt particulier de telle ou telle corporation ou organisation est l’une des conditions sine qua non pour obtenir des avancées dans le secteur des arts visuels.
C’est dans cet esprit qu’a été créée en France l’USOPAV (Union des Syndicats et Organisations Professionnelles des Arts Visuels) en 2005. L’ensemble des organisations professionnelles des arts visuels ont fondé cette plateforme de travail et de dialogue.
A l’instar du RAAV, l’USOPAV mutualise les compétences et développe des outils d’intérêt général pour les arts visuels.
L’USOPAV travaille régulièrement à la rédaction de contrats-type qu’il mettra en ligne sur son prochain site.
L’USOPAV discute également de tous les sujets d’actualité en cours. En son sein les décisions se prennent à l’unanimité, c’est le lieu d’une recherche de consensus sujet par sujet. Evidemment chaque organisation reste autonome et libre de ses actions et positions, en particulier sur les sujets qui n’ont pas abouti à une position partagée.
La réflexion commune nourrit positivement la réflexion de chacun. Mais elle n’est pas dénuée d’écueils car elle engendre aussi des tensions quand des divergences émergent. Dans ce cas, la tentation du repli sur soi peut pousser une organisation à sortir du groupement intersyndical. De même la tendance récurrente au corporatisme professionnel ou organisationnel est une force souterraine constante qui joue contre la permanence et la stabilité d’une telle union. L’USOPAV est aujourd’hui constituée de 4 organisations professionnelles (CAAP, SNSP, UNPI, UPP), au fil du temps trois organisations ont quitté l’union (chronologiquement le SNAA-FO, le SNAPcgt et dernièrement l’AFD).
Cette division est un affaiblissement de la défense des auteurs d’art visuel. « L’union fait la force » : Elle seule permet une efficience dans l’intérêt général des auteurs d’art visuel.
Quand des organisations préfèrent se replier sur elles-mêmes, jouer la carte d’une concurrence entre elles plutôt que celle de la solidarité et du dialogue (fusse-t-il vif), leur capacité collective à analyser la situation, à imaginer des préconisations pertinentes et à négocier des avancées s’amenuise au détriment des intérêts moraux et matériels des artistes auteurs d’art visuel qu’elles doivent défendre.
Au Québec, les auteurs d’art visuel sont légalement « condamnés » à l’unité syndicale, car dans le cadre d’une législation spécifique, une seule organisation, le RAAV, est officiellement accréditée pour négocier et représenter l’ensemble des professionnels concernés.
Il ne s’agit pas ici de dire qu’il devrait en être de même en France, aucun modèle n’est importable ou exportable, chaque pays a sa propre histoire et ses spécificités. Mais force est de constater que la division entre organisations professionnelles des artistes auteurs est en France une faiblesse réelle.
Il est de surcroit fort regrettable que le ministère de la culture ait singulièrement tendance à favoriser le corporatisme donc une fragmentation entre organisations professionnelles des artistes auteurs alors que son rôle devrait être au contraire d’encourager les collaborations dans le cadre de sa mission d’aide à la structuration professionnelle de l’ensemble du secteur.
4/ Pour la création d’urgence d’un Conseil National des Professions des Arts Visuels en France.
L’Etat et les structures publiques ou para-publiques de diffusion ont un devoir d’exemplarité.
Le CAAP demande solennellement au ministère de la culture de cesser clairement de soutenir la « culture de la gratuité » dans les arts visuels en privilégiant le travail gratuit des artistes et les cessions gratuites de droits d’auteurs (droit de reproduction, droits de présentation publique …). Voir notre article « Enterrer le droit de présentation publique : une priorité du ministère de la Culture ? »
Au cours du second semestre de l’année 2013, trois réunions de concertation se sont tenues entre le ministère de la culture et les organisations professionnelles des arts visuels au sujet du projet de loi d’orientation relatif à la création artistique (LORCA) dans les domaines du spectacle vivant et des arts plastiques. Le CAAP a participé activement et constructivement à ces réunions en faisant diverses propositions.
Depuis le 4 décembre 2013 aucune réunion avec les représentants des arts visuels n’a eu lieu. A ce stade l’avant-projet de loi n’était nullement finalisé, pourtant aucune nouvelle date de concertation n’a été arrêtée. La loi d’orientation de la création artistique avait été annoncée par la ministre de la culture comme un projet phare pour 2014. lien
Interrogée sur les suite données à la concertation sur la LORCA par un mail du CAAP daté du 8 février 2014, la DGCA (Direction Général de la Création Artistique) a répondu le 6 mars 2014 qu’elle attendait « un feu vert du cabinet » et précisé que « la principale raison du retard que vous constatez est que nous souhaiterions procéder à une communication de l’avant-projet de loi dans son entier. Ce qui rend nécessaire l’accord préalable de l’ensemble des directions et cabinets concernés. »
Aucune nouvelle depuis. Ce projet de loi est-il repoussé aux calendes grecques ? Ici comme sur d’autres sujets d’actualité importants (tel le projet d’unification et d’amélioration du régime social), la « méthode » ministérielle en usage laisse pantois voire narquois :
Phase A : effet d’annonce du ou des ministères
Phase B : exigence subite de positionnement dans l’urgence des acteurs concernées
Phase C : silence, inertie et procrastination des pouvoirs publics …
La DGCA précisait dans son mail du 6 mars 2014 : « Sur le Conseil national des professions relatives aux arts visuels : Nous avons bien noté qu’une majorité des représentants des organisations professionnelles des AP était favorable à sa création. Nous réfléchissons à un dispositif en ce sens. Mais il ne devrait pas trouver sa place dans la loi, la voie règlementaire nous semblant mieux adaptée à cette création d’instance nouvelle. »
De fait, c’est la totalité des organisations professionnelles des auteurs d’art visuel et des diffuseurs (CIPAC, FRAAP, …) qui ont demandé cette création au cours des réunions de concertation sur la LORCA.
Le CAAP demande donc à nouveau au gouvernement la création d’urgence par voie règlementaire d’un Conseil National des Professions des Arts Visuels, cette création constituerait une avancée majeure en matière de structuration professionnelle.
Cette instance serait l’outil et le lieu du dialogue constructif entre les représentants des artistes auteurs et ceux des diffuseurs des arts visuels. Elle permettrait la mise en œuvre pratique d’un droit de négociation collective entre les uns et les autres. Seuls des accords collectifs négociés peuvent instaurer des relations plus équitables entre artistes auteurs et diffuseurs.