RÉFORME DU RÉGIME DE SÉCURITÉ SOCIALE DES ARTISTES AUTEURS

9ème épisode saison 1 : Affiliés/Assujettis, une distinction à supprimer ?

1/ La recommandation N°6 du rapport préconise de supprimer la distinction assujettis/affiliés dans le régime des artistes auteurs

Recommandation N° 6 : supprimer la distinction assujettis/ affiliés, au profit de la nature des activités générant les revenus et actualiser en conséquence les règles relatives aux revenus tirés d’activités accessoires.

Particulièrement frappés par les nombreux cotisants sans droit de l’Agessa, les rapporteurs préconisent la suppression de la distinction affiliés/assujettis.

Selon eux, cette distinction serait caduque dès lors que sera rendue techniquement possible l’agrégation des cotisations sociales validées dans le régime des artistes auteurs et dans le régime général des salariés. Les droits sociaux seraient validables « selon le niveau de revenus, et en prenant en compte les autres revenus salariés, le cas échéant, puisqu’ils relèvent du régime général. »

Notons d’emblée que l’agrégation des revenus artistiques et salariés pour l’ouverture des droits sociaux est une préconisation soutenue par le CAAP et ce, indépendamment du maintien ou non de la distinction affiliés/assujettis (voir cet article). Il importe de ne pas confondre pas les causes et les conséquences. Cette préconisation découle du fait que le régime des artistes auteurs est rattaché au régime général.

Selon les rapporteurs l’agrégation des revenus dans les deux régimes aurait pour conséquence (et non pour cause) de rendre possible la suppression de la distinction affiliés/assujettis.

2/ Un vocabulaire à revoir

D’un point de vue formel, cette terminologie spécifique (affiliés/assujettis) est mal comprise non seulement de la plupart des artistes auteurs mais également des CPAM elles-mêmes. La suppression d’une terminologie qui porte à confusion est toujours souhaitable.

Il n’est pas cohérent que le terme affiliation ait un sens différent dans le régime des artistes auteurs et dans le régime général (voir cet article). Le régime des artistes auteurs est le régime obligatoire de sécurité sociale pour les revenus artistiques non salariés. Dès lors, dans le vocabulaire commun du droit social, tous les artistes auteurs cotisants devraient être qualifiés d’affiliés ou d’immatriculés dans leur régime. L’affiliation et l’immatriculation étant synonymes, tout artiste auteur serait donc affilié au régime des artistes auteurs ce qui équivaut à immatriculé au régime des artistes auteurs. Ce serait plus clair pour tout le monde, CPAM incluses.

Par ailleurs, c’est un fait que certains artistes auteurs sont également affiliés à un autre régime de sécurité sociale (régime général des salariés, Régime Social des Indépendants, Mutualité Sociale Agricole, …). Dès lors, selon le revenu majoritaire, l’un de ces régimes est principal et les autres complémentaires. Il y aurait donc des affiliés au régime des artistes auteurs à titre principal et des affiliés au régime des artistes auteurs à titre à titre complémentaire. Ce qui ne recoupe pas exactement la distinction actuelle entre « affiliés » et « assujettis » notamment parce que les « affiliés pour ordre » sont immatriculés au régime des artistes auteurs à titre complémentaire mais aussi parce qu’il arrive que certains artistes auteurs, pour des raisons symboliques ou par manque d’information, demandent leur « affiliation à titre dérogatoire » au régime des artistes auteurs alors qu’ils ont déjà une couverture sociale complète par ailleurs.

3/ Les conséquences sociales d’une suppression sans précaution de la distinction affiliés/assujettis

Reste à étudier les incidences concrètes de la suppression - non des termes - mais des dispositions attenantes à la distinction actuelle entre « affiliés » et « assujettis ».

Le seuil dit d’affiliation correspond à la validation de 4 trimestres retraite, c’est également la base de calcul des prestations en espèces pour ceux qui sont « affiliés à titre dérogatoire ».
Cependant que la base de calcul des prestations en espèces et des droits à la retraite pour les « affiliés de droit » est l’assiette de cotisations (relative leur revenu artistique réel).

Dans la pratique actuelle, le cas des « assujettis » est problématique.
Le cas des « assujettis » de l’Agessa est aussi simple que choquant : leurs cotisations ne leur ouvrent aucun droit, ni à l’assurance maladie, ni à la retraite.
Les « assujettis » de la MDA pour leur part valident des trimestres retraite selon leur revenu cotisé. Il semble [1] en revanche que leurs revenus cotisés n’ouvrent aucun droit aux prestations en espèces sous couvert qu’ils n’ont pas atteint le seuil d’affiliation. On ne voit pas bien ce qui justifie cette pratique, ni ce qui fait obstacle au versement en espèces selon leur revenu cotisé.

Quelles incidences sur les droits d’une suppression de la distinction affiliés/assujettis ?

• Prestations en nature des assurances maladie et maternité

Depuis l’instauration de la CMU (Couverture Maladie Universelle), le droit à l’assurance maladie (prise en charge totale ou partielle des prestations en nature : médicaments, consultations, soins, hospitalisations) est garanti pour tous.

En conséquence, et comme le font remarquer les rapporteurs, le service des prestations en nature des assurances maladie et maternité ne pose pas de problème particulier pour les artistes auteurs. Il s’agit des mêmes prestations et des mêmes bases de remboursement que pour les salariés du régime général. Pour ces prestations la suppression de la distinction affiliés/assujettis n’a aucune incidence.

• Prestations en espèces (indemnités journalières de l’assurance maladie et maternité, du congé de paternité, indemnité de repos accordé en cas d’adoption, pension d’invalidité et capital décès)

Seuls les « affiliés » au sens actuel en bénéficient. La suppression sans précaution de la distinction existante minorerait les prestations en espèces déjà faibles des dits « affiliés à titre dérogatoire ».
En revanche cette suppression devrait permettre aux « assujettis » d’en bénéficier a minima selon leur revenu cotisé dans le régime des artistes auteurs et à terme, selon l’ensemble de leurs revenus cotisés dans divers régimes, à commencer par le régime général.

• Droits à la retraite

L’absence de perception des cotisations vieillesse des assujettis de l’Agessa ne découle pas de la distinction affiliés/assujettis mais d’une violation du droit social applicable à tous. La distinction affilié/assujettis n’est ni une cause, ni une conséquence de ce dysfonctionnement principalement dû à l’absence de réaction des pouvoirs publics chargés du contrôle de légalité. C’est donc à tort que les rapporteurs écrivent « la distinction entre assujettis et affiliés a surtout eu jusqu’à présent une conséquence grave à l’Agessa, où n’ont été identifiés que les affiliés. ». Or la législation est la même pour les deux organismes, les « assujettis » de la MDA ont toujours cotisé pour leur retraite.

Dysfonctionnement de l’Agessa mis à part, les « affiliés » comme les « assujettis » s’ouvrent des droits à la retraite selon leurs revenus cotisés. Les cotisations d’assurance vieillesse s’agrègent quel que soit le régime social. La portabilité des droits à la retraite est effective.

Néanmoins il existe bel et bien un seuil du régime général qui valide 4 trimestres retraite, si ce seuil n’est pas atteint, les droits à la retraite sont considérablement amoindris. La suppression sans précaution de la distinction existante remettrait en cause la possibilité de valider 4 trimestres et minorerait les pensions de retraite déjà faibles des dits « affiliés à titre dérogatoire ».

• Droits à la retraite complémentaire

Comme le précise à juste titre le rapport : « la distinction entre assujettis et affiliés ne conditionne pas l’accès au régime de retraite complémentaire, soumis au seul critère d’un seuil de revenus de 900 SMIC horaires, les assujettis ayant atteint ce seuil étant tenus de cotiser, les affiliés ne l’ayant pas atteint étant dispensés de cette obligation et invités à cotiser en option. »
En regard du droit à la retraite complémentaire il n’y a donc pas de problème particulier.
Néanmoins, notre régime étant rattaché au régime général, il serait cohérent que le seuil de cotisation obligatoire soit de 800 fois la valeur horaire brute du SMIC (et non les 900 VHMS qui correspondent de fait au seuil d’affiliation actuel du régime social).

• Droit à l’ASS (Allocation Spéciale de Solidarité)

Les artistes auteurs « affiliés » depuis au moins 3 ans peuvent bénéficier de cette allocation (la demande est à effectuer auprès de pôle emploi)
Voir cet article D5424-62 du code du travail.
La suppression sans précaution de la distinction existante remettrait en cause le droit à l’ASS des dits « affiliés à titre dérogatoire ».

• Droits à la formation continue

Actuellement ces droits sont ouverts pour tous les « affiliés » et ouvert sous condition de ressources pour les « assujettis ». La suppression sans précaution de la distinction existante remettrait en cause le droit à la formation continue sans condition de revenu des dits « affiliés à titre dérogatoire ».

5/ L’enjeu réel est bien celui des droits sociaux, non des mots

L’enjeu véritable est celui des conditions d’ouverture des droits sociaux pour un artiste auteur.

• Les droits sociaux des artistes auteurs pluriactifs

Il n’est pas normal que la pluriactivité puisse être pénalisante en regard des droits sociaux. Sachant que de nombreux artistes auteurs exercent diverses activités professionnelles, la portabilité des droits sociaux donc l’articulation entre les divers régimes existants est une nécessité urgente, notamment pour ceux qui ne remplissent pas les conditions requises dans chaque régime.

Le cumul des cotisations sociales versées aux différents régimes devrait permettre une ouverture de droits aux pluriactifs.

Au lieu de devoir remplir des conditions dans chacune des activités, il serait juste et logique que les conditions d’ouverture de droits pour une personne prennent en compte l’ensemble de ses revenus cotisés socialement qu’il s’agissent de revenus artistiques ou de revenus provenant d’activités salariées, artisanales, commerciales, industrielles ou agricoles.

Ainsi une personne qui exerce plusieurs activités professionnelles serait affiliée - au sens général du droit social c’est-à-dire immatriculée - à divers régimes : à titre principal pour l’un et à titre complémentaire pour les autres.

Les recommandations du rapport vont dans le sens de cette articulation renforcée « avec le régime général, bien sûr, mais aussi les autres régimes ».

Les conditions requises de cette interopérabilité entre les différents régimes ne sont pas à notre connaissance réunies aujourd’hui. Le gouvernement et la direction de la sécurité sociale sont-ils disposés à en faire un objectif prioritaire ? si oui, à quelle échéance peut-on espérer une portabilité effective des droits sociaux des artistes auteurs ?

Notons encore une fois que cette connexion entre les différents régimes est une amélioration certaine mais indépendante du maintien ou non de la distinction affiliés/assujettis (voir cet article).

En revanche il s’agit d’une condition sine qua non pour envisager un précompte des cotisations vieillesse des actuels « assujettis » de l’Agessa. L’identification avec une interopérabilité est préconisée par le rapport comme une solution alternative à l’appel individuel de la cotisation vieillesse tel qu’il est pratiqué à la MDA. En l’absence d’identification de ces assujettis, aucun droit social ne peut leur être garanti.

• Les droits sociaux des artistes auteurs dont l’activité artistique est la seule ou la principale activité professionnelle

Le régime a été créé fin 1964 pour les artistes peintres, sculpteurs et graveurs (MDA), antérieurement ces métiers ne bénéficiaient d’aucun droit à la sécurité sociale. Le régime social a été étendu à tous les artistes auteurs en 1975 (création de l’Agessa en 1977).

La forêt ne doit pas masquer l’arbre, la problématique des nombreux pluriactifs du régime d’aujourd’hui ne doit pas occulter le cas emblématique et fondamental des artistes auteurs dont l’activité artistique non salariée est l’activité professionnelle principale.

Cette population comprend à la fois les plus hauts revenus de quelques uns et les bas revenus de la plupart (mais quasiment pas de revenus moyens). Ici rien ou presque rien ne vient compenser la précarité financière et les aléas propres à la création artistique.

Une réforme qui remettrait en cause les droits sociaux péniblement acquis jusqu’ici n’est pas envisageable.

S’agissant par exemple des plasticiens, faut-il rappeler que les artistes reconnus aujourd’hui ne sont pas nécessairement ceux qui ont le mieux vécu de leur vivant ? Faut-il rappeler que la vente des œuvres d’artistes morts rapporte beaucoup plus que celle des œuvres contemporaines ? Faut-il rappeler que sans premier marché de l’art, le second ne serait plus alimenté ? Dans ce champ de la création, les revenus générés peuvent être tellement dissociés que l’artiste lui-même peut ne jamais en bénéficier… L’histoire de l’art en atteste.

Le 1er devoir de ce régime est de protéger socialement ceux qui n’ont pas d’autre couverture.

Aujourd’hui, dans la grande majorité des cas, un artiste auteur dont la principale activité professionnelle est l’activité artistique peut pleinement bénéficier de la couverture sociale du régime des artistes auteurs, sans condition de revenu, s’il le demande et s’il prouve sa professionnalité auprès de la commission professionnelle compétente. Cette spécificité du régime des artistes auteurs est fondamentale, c’est le pendant nécessaire à la spécificité et aux aléas de la création artistique elle-même (voir cet article).


6/ Est-ce à dire que le CAAP s’oppose à la suppression de la distinction affiliés/assujettis ? NON

MAIS il nous apparaît que les rapporteurs n’ont pas suffisamment mesuré les incidences négatives de cette recommandation qui, par ailleurs, présente divers avantages, y compris celui d’engendrer une vraie réflexion sur le rôle de ce régime. Cette suppression peut être considérée comme l’occasion d’une remise à plat et d’une clarification des règles, notamment celles des commission professionnelles. Elle peut aussi être vue comme un rempart contre les discriminations abusives de ce qui sera (enfin) devenu le passé : « assujettis » sans droits de l’Agessa, « assujettis » sans possibilité d’activités accessoires de la MDA-SS...

Le CAAP est donc favorable à cette suppression à condition de prendre les dispositions nécessaires pour préserver et garantir les acquis sociaux de ceux dont la principale activité professionnelle est l’activité artistique.

Amendement de la recommandation N° 6 du rapport :
Supprimer la distinction assujettis/ affiliés, au profit d’une des dénominations usuelles du droit social : « affiliation » complétée par la précision « à titre principal » ou « à titre complémentaire », selon la nature des activités générant les revenus. Cette suppression est à effectuer sans préjudice relatif aux droits sociaux actuels des artistes auteurs dont l’activité professionnelle principale est l’activité artistique.