Préambule
C’est l’histoire d’un Gibi qui verse de l’argent à un Shadok pour le compte d’un AA.
Quelque temps plus tard, le Shadok dit à l’AA :
— Prouve-moi que j’ai encaissé de l’argent versé par le Gibi pour ton compte, sinon je ferais comme si rien ne m’avait été versé !
— Quoi ? Mais c’est toi qui sais si le Gibi t’a versé de l’argent pour moi ! proteste l’AA.
— Peut-être, mais il est écrit dans le code GaBuZoMeu que c’est à toi de le prouver.
— Mais enfin, Shadok, comment pourrais-je prouver une chose qui s’est passée entre le Gibi et toi ? s’exclame l’AA effaré.
— Demande au Gibi de te faire un papier tel que décrit dans le code GaBuZoMeu.
— Mais, heu… et si le Gibi ne veut pas me faire ce papier ? bredouille l’AA.
— Alors tant pis pour toi ! réplique le Shadok.
Toute ressemblance avec des faits réels de la vie des artistes-auteurs n’est nullement fortuite. Et l’histoire n’est pas drôle.
1/ La raison du précompte de certains revenus d’artistes-auteurs
Les cotisations sociales des salariés sont réglées à l’Urssaf par leurs employeurs.
Les artistes-auteurs sont des travailleurs non-salariés.
Normalement, tout travailleur non-salarié paie lui-même l’ensemble de ses cotisations sociales. C’est le cas des artistes-auteurs dont l’intégralité des revenus est déclarée fiscalement en bénéfices non commerciaux (BNC).
Mais par dérogation (article 93 1quater du code général des impôts), certains revenus d’artistes-auteurs peuvent être déclarés aux impôts comme s’il s’agissait de salaires parce que ceux qui les rémunèrent sont légalement tenus de déclarer à l’administration fiscale les sommes qu’ils versent aux artistes-auteurs (par similitude avec les employeurs qui sont légalement tenus de déclarer à l’administration fiscale les salaires qu’ils versent). Les revenus des artistes-auteurs déclarables comme s’il s’agissait de salaires sont exclusivement les droits d’auteur versés par des EPO : Éditeurs, Producteurs (audiovisuels ou de phonogrammes) et/ou OGC (organismes de gestion collective : ADAGP, SACD, SACEM, SAIF, SCAM, SOFIA). Ces droits d’auteurs sont imposés selon les règles applicables en matière de traitements et salaires.
Quand un revenu d’artiste-auteur est déclaré aux impôts en traitements et salaires assimilés (TS), les EPO doivent obligatoirement effectuer un précompte social. Le précompte est un prélèvement à la source des cotisations et contributions sociales effectué par les diffuseurs pour le compte des artistes-auteurs qu’ils rémunèrent.
Le précompte est soustrait de la rémunération due à l’artiste-auteur et versé par les EPO à l’Urssaf Limousin (précédemment à l’Agessa ou à la Mda).
Ainsi, la gestion sociale des droits d’auteur versés par des EPO — donc assimilables fiscalement à des TS — relève d’un parallélisme avec les employeurs qui eux aussi sont légalement tenus de retenir à la source (sur le salaire brut) les cotisations sociales dues. Les employeurs versent à l’Urssaf la part salariale et la part patronale. Les salariés perçoivent un salaire net (cotisations sociales déduites).
NB : contrairement à tous les travailleurs non-salariés, les artistes-auteurs qui déclarent intégralement et exclusivement aux impôts des droits d’auteur assimilés à des traitements et salaires, ne sont pas tenus de déclarer leur activité au CFE (centre de formalité des entreprises, voir notre article) et d’obtenir un numéro de SIRET.
En conséquence, légalement ils ne peuvent pas émettre de factures.
En pratique, des relevés de droits d’auteur (avec précompte social et retenue à la source de TVA) leur sont communiqués par leurs éditeurs, producteurs ou OGC.
Ces EPO règlent le montant de leurs droits d’auteur sans émission de facture.
2/ Les limites de la transposition en droit social de la dérogation fiscale applicable à certaines catégories de recettes des artistes-auteurs
- Les droits d’auteur sont des revenus non commerciaux, et non des salaires.
Les artistes-auteurs ne sont pas des salariés.
« Les dispositions du 1 quater de l’article 93 du code général des impôts (CGI) ont pour objet de rapprocher les modalités d’imposition des revenus non salariaux — lorsque leur montant est connu avec certitude — de celles appliquées aux revenus salariaux. Mais, ce rapprochement n’a nullement pour effet de conférer aux revenus en cause le caractère de salaires. Aussi, nonobstant le régime fiscal auquel ils sont soumis, les produits de droits d’auteur perçus par les auteurs d’œuvres de l’esprit, conservent leur caractère de revenus non commerciaux. » (BoFip ligne 20).
NB : inversement, les salaires versés à certains artistes-auteurs (réalisateurs, scénographes, metteurs en scène, photojournalistes, illustrateurs de presse, journalistes, etc.) par des producteurs, des entrepreneurs de spectacle, des organes de presse, etc. ne sont pas des droits d’auteur.
Le salaire versé rémunère un travail effectué dans le cadre d’un service organisé et d’un lien de subordination défini comme l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. L’employeur détermine les conditions d’exécution du travail (lieu, horaires, délais, etc.) et il met à disposition les moyens nécessaires à l’exécution du travail.
Les cessions de droits d’auteur rémunèrent exclusivement l’exploitation et la diffusion de l’œuvre (droit de représentation publique, droit de reproduction).
Remarque : les rémunérations des artistes-auteurs pour la conception ou la création d’une œuvre dans le cadre d’une commande publique ou privée — qui n’ont ni le caractère juridique d’un salaire, ni celui de droits d’auteurs — sont des revenus non commerciaux assujettis dans le régime social des artistes-auteurs (peu importe que la création de l’œuvre soit suivie ou non d’une cession de droits d’auteur ou d’une vente).
Bien qu’ils l’ignorent souvent eux-mêmes, juridiquement les artistes-auteurs exercent une profession libérale. En effet, « sont qualifiées de professions libérales, les professions dans lesquelles l’activité intellectuelle joue le principal rôle et qui consistent en la pratique personnelle d’une science ou d’un art. Leurs titulaires exercent leur activité en toute indépendance — ce qui les distingue des salariés — et leurs biens et actes sont, en principe, régis par le droit civil, ce qui les distingue des commerçants. » (BoFip ligne 1)
c’est pourquoi leurs revenus professionnels relèvent de la catégorie des bénéfices non commerciaux.
- Les EPO, et plus globalement les diffuseurs des artistes-auteurs, ne versent pas de salaires aux artistes-auteurs donc ne sont pas juridiquement leurs employeurs. Néanmoins ils ont des obligations particulières à l’égard des artistes-auteurs et des administrations.
Les obligations légales qui incombent aux employeurs sont sans commune mesure avec celles des diffuseurs et des OGC des artistes-auteurs. Notamment les relations entre employeurs et salariés sont encadrées par le code du travail.
Les obligations légales des EPO (Editeurs, Producteurs, OGC) — et plus globalement des diffuseurs des artistes-auteurs — sont nettement moindres.
Les clients des travailleurs non-salariés n’ont aucune obligation fiscale ou sociale à l’égard de ces travailleurs non-salariés. Il en est de même des particuliers qui versent des rémunérations artistiques à des artistes-auteurs (par exemple, l’achat d’une œuvre originale par un particulier). Les particuliers ne sont pas considérés socialement comme des « diffuseurs » des artistes-auteurs.
En revanche, les artistes-auteurs étant rattachés au régime général pour l’ensemble des risques, le « financement des charges incombant aux employeurs est assuré par le versement d’une contribution par toute personne physique ou morale, y compris l’État et les autres collectivités publiques, qui procède, à titre principal ou accessoire, à la diffusion ou à l’exploitation commerciale d’œuvres originales ».
Les diffuseurs des artistes-auteurs sont donc tenus de verser une contribution à l’Urssaf Limousin, (précédemment à l’Agessa ou à la Mda).
Les diffuseurs sont également tenus de se déclarer à l’Urssaf Limousin et de déclarer les montants qu’ils versent aux artistes-auteurs.
En l’absence de dispense de précompte de l’artiste-auteur, les diffuseurs sont également tenus de précompter les rémunérations versées aux artistes-auteurs (article L382-5 du code de la sécurité sociale).
Enfin, les OGC (organismes de gestion collective : ADAGP, SACD, SACEM, SAIF, SCAM, SOFIA) et certains diffuseurs particuliers : les éditeurs et les producteurs (de phonogrammes et audiovisuels), sont tenus de déclarer à l’administration fiscale les droits d’auteurs qu’ils versent.
3/ Certification de précompte : des dispositions lacunaires au détriment des artistes-auteurs
Les revenus des artistes-auteurs imposés en BNC sont dispensés de précompte.
Les artistes-auteurs concernés disposent d’une dispense de précompte.
Les revenus des artistes-auteurs imposés en traitements et salaires (TS) (exclusivement des droits d’auteurs versés par des EPO) sont obligatoirement précomptés. En cas de contrôle, l’artiste-auteur doit fournir à l’administration fiscale un état détaillé des produits perçus ventilés suivant les parties versantes.
En vertu de l’article R382-27 du code de la sécurité sociale : « L’artiste-auteur ne peut s’opposer au prélèvement de ce précompte. Le paiement de la rémunération effectué sous déduction du précompte vaut acquit pour l’artiste-auteur des sommes précomptées, selon des modalités fixées par un arrêté conjoint du ministre chargé de la Culture et du ministre chargé de la Sécurité sociale. »
L’arrêté du 19 avril 1995 stipule que le diffuseur « remet à l’artiste-auteur un document comportant les mentions suivantes » puis fixe « les mentions obligatoires du document délivré lors du précompte des cotisations de sécurité sociale sur la rémunération des artistes-auteurs » et il précise : « La personne qui verse la rémunération certifie sur l’honneur l’exactitude de ces mentions. Elle conserve un double du document remis à l’artiste-auteur. »
La certification de précompte est pour les artistes-auteurs l’équivalent d’un bulletin de paie pour les salariés. Ce justificatif à conserver est un document qui permet à l’artiste-auteur de faire valoir ses droits (notamment à la retraite) et d’attester qu’il est en règle socialement. Or, la non-remise des certifications de précompte par les diffuseurs est un phénomène massif au préjudice des artistes-auteurs. |
Nous observons que si la loi fait obligation à l’employeur de remettre au salarié, lors du paiement du salaire, une pièce justificative dite bulletin de paie (article L. 3243-1 et suivants du Code du travail), il n’en est pas de même pour les diffuseurs des artistes-auteurs.
Aucun article du code de la sécurité sociale ne mentionne l’obligation de fournir une certification de précompte à l’artiste-auteur.
Cette obligation des diffuseurs n’est mentionnée que dans l’arrêté du 19 avril 1995 (modifié par l’arrêté du 22 février 2019).
La non transmission à l’artiste-auteur par le diffuseur de la certification de précompte n’est à ce jour assortie d’aucune pénalité.
En effet, la seule pénalité prévue, mentionnée à l’article D382-1 du code de la sécurité sociale, concerne le défaut de déclaration à l’Urssaf, l’omission ou l’inexactitude des données transmises à l’Urssaf.
À titre comparatif, un employeur qui ne remettrait pas de bulletin de paie peut être condamné à une amende pénale et à verser des dommages et intérêts au salarié (ce dernier peut saisir les Prud’hommes, sans être obligé d’être assisté par un avocat).
En cas de différence entre les déclarations à l’Urssaf du diffuseur et celles de l’artiste-auteur, l’article 2 de l’arrêté du 19 avril 1995 fait supporter la charge de la preuve à l’artiste-auteur.
En l’absence de concordance des déclarations, l’Urssaf demande à l’artiste-auteur de communiquer les certifications de précompte... le plus souvent non communiquées à l’artiste-auteur par ses diffuseurs.
De plus, seuls les documents conformes valent acquis pour l’artiste-auteur des sommes précomptées.
Tel que rédigé, l’arrêté permet de ne pas tenir compte des sommes effectivement soustraites à la rémunération de l’artiste-auteur par le diffuseur, si ce dernier n’a pas fourni de certification de précompte à l’artiste-auteur.
La situation Shadok de notre préambule est donc bien une réalité courante vécue par les artistes-auteurs, notamment ceux dont les revenus sont assimilables à des traitements et salaires.
4/ Que faire pour remédier à ces aberrations préjudiciables aux artistes-auteurs ?
1° Cesser d’appliquer le principe Shadok : « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? »
Actuellement l’Urssaf fournit des certifications de précompte pré-remplies aux diffuseurs qui lui ont effectivement versé des précomptes. Nous demandons que ces certifications soient également communiquées par l’Urssaf aux artistes-auteurs concernés, au lieu de leur imposer de perdre leur temps et leur énergie à les quémander à leurs diffuseurs.
2° Introduire dans le code de la sécurité sociale, l’obligation légale pour les diffuseurs de remettre systématiquement à l’artiste-auteur, lors du versement de sa rémunération, une pièce justificative dite certification de précompte.
3° Introduire dans le code de la sécurité sociale, des pénalités « motivantes » à l’encontre des diffuseurs qui ne fourniraient pas à l’artiste-auteur de certification de précompte simultanément au versement de sa rémunération.
4° Supprimer l’article 2 de l’arrêté du 19 avril 1995, et prévoir en cas de discordance entre les déclarations de l’artiste-auteur et du diffuseur que l’Urssaf avertisse chacune des parties de cette discordance dans la perspective d’un accord amiable. En cas de litige persistant, prévoir une commission de recours habilitée à instruire et résoudre le litige entre l’artiste-auteur et le diffuseur.