Le Conseil d’Etat a jugé que les recours engagés par le CAAP et le SNSP étaient justifiés et a décidé d’annuler « l’article 2 du décret du 7 décembre 2012, l’article 4 de ce décret, ainsi que l’arrêté du 25 janvier 2013 du ministre de la culture et de la communication ». La loi elle même est inchangée. Seules les règles définissant « les modalités d’organisation et de fonctionnement de la section particulière », en particulier la composition du Conseil de Gestion, doivent désormais être revues. En attendant, sous la responsabilité du CA de l’Afdas, les artistes auteurs continueront d’avoir normalement accès aux formations et cela sans interruption (le CG pour sa part a été suspendu de ses fonctions début 2014).
Cet article explicite les causes de ces recours et revient sur nos objectifs : équilibrer la composition du CG et favoriser le respect des principes de solidarité et de mutualisation au sein du fonds de formation des artistes-auteurs.
1/ La cause profonde du recours devant le Conseil d’Etat
« Il faut savoir ce que l’on veut,
quand on le sait, il faut avoir le courage de le dire,
quand on le dit, il faut avoir le courage de le faire. »
Georges Clémenceau
Sous couvert de ventes d’œuvres, les droits d’auteurs des artistes visuels ne sont le plus souvent pas respectés. Cette culture de la gratuité prédominante engendre évidemment un moindre poids financier de leurs sociétés d’auteurs (SAIF et ADAGP) en regard des autres SPRD (Sociétés de Protection et de Reproduction des Droits, dites sociétés d’auteurs) (SACEM, SACD, SOFIA, SCAM). De surcroît, les arts visuels n’ont évidemment pas la capacité de lobbying des industries culturelles (édition, musique, cinéma, télévision…).
Ainsi les arts visuels n’ont pas de « grands frères » puissants pour les défendre. Leurs auteurs doivent se défendre seuls et avec des moyens ridicules. Leurs organisations professionnelles font inlassablement ce travail avec courage et abnégation.
La composition déséquilibrée du Conseil de Gestion fixée par arrêté en janvier 2013 (voir cet article : Les problèmes de composition et de gouvernance du Conseil de gestion) peut s’analyser comme un abus de faiblesse dans le cadre d’un rapport de force par trop inégal. Ce choix de composition est déconnecté de la réalité des auteurs d’arts visuels dans le fonds de formation. Parmi l’ensemble des auteurs, les auteurs d’arts visuels composent une population considérable de professionnels, ce sont d’ailleurs eux qui, de loin, sont les premiers contributeurs au fonds (ceci dit, un fonds de formation n’est pas un « syndicat de copropriété »). Ne leur concéder qu’une place de figurants au sein du Conseil de Gestion du fonds a été ressenti - à juste titre - comme profondément injuste.
Nos arguments - donc nos raisons d’agir en justice - ont été énoncés publiquement tout au long des réunions préparatoires qui préfiguraient la mise en place du fonds. En vain…
Aussi, en désespoir de cause, avons-nous dû recourir au Conseil d’Etat conformément au droit français et à notre rôle de défense des intérêts moraux et matériels des auteurs d’art visuels.
Le CAAP et le SNSP (Syndicat National des Sculpteurs et Plasticiens) ont donc déposé devant le Conseil d’Etat deux recours, l’un relatif au décret du 7 décembre 2012, l’autre relatif à l’arrêté du 25 janvier 2013 du Ministre de la Culture fixant la composition du Conseil de Gestion du fonds de formation continue des artistes-auteurs au sein de l’AFDAS.
Nous n’aborderons pas ici les nombreux arguments et motifs que nous avons avancés au cours de cette longue procédure. L’important pour l’heure est de prendre acte de la décision du Conseil d’Etat et d’aller de l’avant.
2/ Une décision du Conseil d’Etat qui permet à la puissance publique de mieux fonder le fonctionnement du fonds de formation des artistes-auteurs
Le premier rôle du Conseil d’Etat est celui de conseiller le gouvernement. À cette fin, le Conseil d’État doit être consulté par le gouvernement pour un certain nombre d’actes, notamment projets de lois et décrets. La France est un Etat de droit. L’État de droit peut se définir comme un système institutionnel dans lequel la puissance publique est elle-même soumise au droit. Dans ce cadre, le Conseil d’État est l’échelon suprême de la juridiction administrative, qui juge les recours dirigés contre les autorités publiques. Il juge en premier et dernier ressort les recours pour excès de pouvoir dirigés notamment contre les décrets et les arrêtés à caractère réglementaire des ministres.
Toute personne (morale ou physique) a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial. En France, ce droit a valeur constitutionnelle, il fait partie des Principes Fondamentaux Reconnus par les Lois de la République (PFRLR). Aussi l’exercice d’un droit constitutionnel ne peut évidemment en aucun cas être considéré comme une cause licite d’inéligibilité électorale ou d’incompatibilité avec certaines fonctions comme cela a été avancé par certains membres du Conseil de gestion.
Par leur action, le CAAP et le SNSP entendaient que le droit à la formation continue des artistes-auteurs soit incontestablement fondé, qu’il ne subsiste aucune insécurité juridique quant à ses modalités d’application et que les auteurs d’arts visuels ne fassent l’objet d’aucun préjudice institutionnel.
Dans le cadre des deux requêtes déposées, ils ont clairement précisé au Conseil d’Etat qu’ils étaient « fortement attachés à la pérennité et à la continuité du droit à la formation continue des artistes-auteurs ». C’est la raison pour laquelle ils ont insisté pour que les « effets d’une annulation éventuelle soient modulés dans le temps afin de ne pas porter atteinte à ce droit que les artistes-auteurs ont eu tant de mal à obtenir. »
Le Conseil d’Etat a jugé que les recours du CAAP et du SNSP étaient justifiés et a décidé d’annuler « l’article 2 du décret du 7 décembre 2012, en tant qu’il introduit le IV de l’article R. 6331-64 dans le code du travail, l’article 4 de ce décret, ainsi que l’arrêté du 25 janvier 2013 du ministre de la culture et de la communication ». (cf pdf en fin d’article)
Le Conseil d’Etat ayant entériné la suggestion de la DGEFP (Direction Générale de l’Emploi et de la Formation Continue), cette annulation prendra effet au 1er janvier 2015. D’ici là, une nouvelle rédaction devra être proposée par le gouvernement et acceptée par le Conseil d’Etat.
La loi qui fonde le droit à la formation continue des artistes-auteurs (voir les articles L6331-65 à L6331-68 du code du travail (voir avec ce lien les articles L6331-65 à L6331-68 du code du travail) et le fonds de formation lui-même ne sont bien entendu nullement remis en cause. Seules les règles définissant « les modalités d’organisation et de fonctionnement de la section particulière » - en particulier la composition du Conseil de Gestion - doivent désormais être revues.
3/ La nécessité d’une parité pour favoriser l’émergence d’une culture commune entre artistes-auteurs de la MDA-SS et de l’AGESSA
A l’heure où les pratiques artistiques s’hybrident de plus en plus et où les collaborations entre artistes-auteurs de différents domaines se multiplient, favoriser l’émergence d’une culture commune entre artistes-auteurs de la MDA-SS (Maison des Artistes – Sécurité Sociale) et de l’AGESSA est un objectif d’intérêt général qui ne peut, ni ne doit, être sacrifié sur l’autel du lobbying de certains au détriment des autres.
Pour que, dans le respect de chacun, les frontières du passé puissent s’estomper à l’avenir, la représentation à parité entre la MDA-SS et l’AGESSA dans le Conseil de Gestion du fonds est aujourd’hui une condition sine qua non. Dans le cas contraire, on institue inévitablement une forme d’annexion et d’excès de pouvoir engendrant la domination d’un organisme par l’autre, et ce, aux dépens d’une des deux populations d’artistes-auteurs concernées.
Dans le rapport IGAC-IGAS sur le projet d’unification des deux organismes sociaux (voir ce lien), des structures de l’AGESSA ont aussi fait le constat des difficultés rencontrées dans le Conseil de Gestion, et ce, bien que le déséquilibre institué soit à leur avantage constant.
Selon les rapporteurs, leur inquiétude par rapport à la gouvernance de la future caisse commune « est alimentée par la complexité et la lourdeur du fonctionnement du conseil de gestion du fonds de la formation continue, lors de séances houleuses… ». La SGDL (Société des Gens de Lettre) précise « Au-delà des incompatibilités de caractères, de personnes qui rendent le dialogue difficile voire « sanglant », nous nous heurtons à des problèmes structurels. La plupart des artistes déclarent leur revenu en BNC, les auteurs en traitement et salaires ».
En effet, les conditions d’un dialogue respectueux ne sont pas réunies au sein du Conseil de Gestion. En effet, les conditions d’exercice professionnelles sont sensiblement différentes entre les deux populations. En effet, le Conseil de Gestion gagnerait à être allégé.
On peut remarquer ici une forme de diagnostic partagé entres les deux parties. Seuls les remèdes préconisés divergent. Attachés aux figures emblématiques de « L’auteur » et de « L’artiste », les uns regrettent cette vieille dichotomie et préfèrerait conserver un « chacun chez soi » partout et toujours. Les autres sont partisans d’une réunion des artistes-auteurs dans des structures communes mais à la condition expresse d’un pouvoir équitablement partagé.
Les artistes-auteurs sont actuellement fragilisés de toutes parts : doublement de leur taux de TVA, mise en péril de leurs droits d’auteurs par la Commission Européenne, majoration de 33% de leurs cotisations sociales obligatoires via les 8% de retraite complémentaire prévu en 2016, etc. Encourager le corporatisme, les conflits et la division entre artistes-auteurs, c’est aussi faire le jeu de ceux qui oublient qu’il appartient à la puissance publique de voir plus loin que le bout de son portefeuille et qu’une société qui sacrifie la création artistique et ses auteurs court à sa perte…
4/ Favoriser le respect des principes de solidarité et de mutualisation au sein du fonds de formation des artistes-auteurs
La clé de répartition est votée par le Conseil de Gestion, elle est restée inchangée jusqu’à présent. Un budget mutualisé de 60% est alloué au Conseil de Gestion lui-même pour les formations transversales, celles de reconversion et les formations métier inter-catégories, tandis qu’un budget sectorisé de 40% est alloué aux Commissions MDA-SS et AGESSA.
Au 31 août 2014, les budgets effectivement engagés et restants sont les suivants :
En regard des besoins, il apparaît que le Conseil a tendance à sous-doter les budgets mutualisés. A ce jour, les budgets affectés aux commissions n’ont été utilisés qu’à hauteur de 26% et 28% respectivement pour la MDA-SS et l’AGESSA.
Les montants engagés par commissions sont les suivants :
La répartition initiale au sein des 4 « branches » de l’AGESSA était de 25% chacune. Les dépenses effectives sont de 43% pour l’audiovisuel, 35% pour la photographie, de 11% pour l’écrit et de 11% pour la musique. La répartition des dépenses effectives entre les commissions de l’AGESSA et de la MDA-SS est respectivement de 67% et 33%.
Nous avons vu précédemment qu’en raison du caractère excédentaire du fonds, aucun budget alloué par le Conseil de Gestion n’a été épuisé. Mais cet excédent n’aura qu’un temps.
Quand le fonds n’aura plus d’excédent et que la situation financière sera tendue, la question cruciale de l’inégalité de traitement entre catégories d’artistes-auteurs se posera, le mode de gestion de ce risque majeur dépendra fondamentalement de la composition du Conseil.
Equilibrer le Conseil de Gestion, c’est aussi aider opportunément ce Conseil à s’affranchir des préjugés négatifs qu’il nourrit à l’encontre du principe fondateur de tout fonds de formation : la solidarité.
La mutualisation est légalement la raison d’être de tout fonds de formation : l’argent collecté est par principe redistribué en fonction des priorités adoptées par le conseil et non pas en fonction du montant des contributions. L’objectif fondateur est de répondre le mieux possible aux besoins en formation en mutualisant les moyens. Cette solidarité doit servir l’intérêt général, non la satisfaction d’intérêts particuliers.
Chaque catégorie d’artiste-auteur doit pouvoir bénéficier — aujourd’hui et demain — d’un égal accès à la formation continue.
Les articles concernant la mise en place du fonds sont toujours accessibles sur notre site à l’aide de la clé "Formation professionnelle continue" placée en haut et à gauche de l’article ; ou directement ci-dessous :
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Historique de la mise en place de la formation professionnelle
2013 : l’année de la formation professionnelle pour les artistes-auteurs