Les administrateurs bâillonnés à la Sécurité sociale des artistes-auteurs (2S2A)

Le 10 décembre 2024 a été votée une délibération imposant « un devoir de loyauté » et « une obligation de confidentialité » aux membres du conseil d’administration de la 2S2A sous peine d’exclusion par le président du CA !

1/ La motion-bâillon

« Sans préjudice de l’article 16 des statuts de la Sécurité sociale des artistes auteurs, le Conseil d’administration approuve les devoirs de loyauté et de confidentialité auxquels sont soumis les administrateurs. Chaque administrateur doit ainsi agir dans l’intérêt social de la SSAA et notamment veiller à éviter de conduire des activités qui pourraient être source de conflit d’intérêts avec la SSAA. Chaque administrateur s’engage également à respecter la confidentialité totale des informations et documents présentés lors des réunions du Conseil d’administration, de la Commission de contrôle des comptes ou des autres commissions lorsque cette confidentialité leur est expressément demandée par le Président du Conseil d’administration ou le Président de la commission en cause. Cette obligation de confidentialité s’applique à tous les documents qui lui sont communiqués pour la préparation des travaux du Conseil ou des autres commissions, ou encore à ceux dont un administrateur aurait connaissance dans le cadre de ses fonctions.

Plus particulièrement, les débats lors des séances du Conseil d’administration, de la Commission de contrôle des comptes ou des autres commissions sont confidentiels. Ils ne sont pas diffusables dans la presse ou dans des médias sous aucune forme.

En cas de manquement à ces devoirs par l’un des administrateurs, il s’expose à la perte de sa qualité de représentant de son organisation professionnelle au Conseil d’administration et à toutes les commissions de la SSAA.

Le Président du Conseil d’administration invite l’administrateur ayant manqué à ses devoirs à s’expliquer sur les griefs qui lui sont reprochés devant le Conseil d’administration avant que celui-ci ne délibère sur la perte de sa qualité représentant de l’organisation désignée au Conseil d’administration de la SSAA. Si le Conseil décide de la perte de cette qualité, cette décision est notifiée par le Président du Conseil d’administration aux ministres de tutelle, à l’intéressé ainsi qu’à l’organisation professionnelle qu’il représente à qui il est demandé de désigner un nouveau représentant comme administrateur de la SSAA. » (cf PDF en fin d’article).

Une première version de cette délibération avait été présentée au CA du 17 septembre 2024, sans vote. Dans la version du 10 décembre 2024 a notamment été ajoutée la mention « lorsque cette confidentialité leur est expressément demandée par le Président du Conseil d’administration ». Cet ajout semble emprunté à l’article L. 2315-3 du code du travail pour les membres du CSE (comité social et économique) qui « sont tenus à une obligation de discrétion à l’égard des informations revêtant un caractère confidentiel et présentées comme telles par l’employeur ». Or même dans ce cadre, évidemment non applicable à la 2S2A, il appartient à l’employeur de démontrer que l’information était réellement de nature confidentielle et il est à noter qu’un employeur, qui applique systématiquement la confidentialité aux informations qu’il transmet, commet un délit d’entrave au fonctionnement régulier du CSE…

2/ Un président-monarque

Aucun président de conseil de sécurité sociale n’a les pleins pouvoirs. C’est pourtant le cas du président du CA de la 2S2A. Selon l’article 2 des statuts de l’association : « Le Président est investi des pouvoirs Les plus étendus pour agir, en toute circonstance, au nom de l’Association ». Cette disposition anti-démocratique positionne les administrateurs en simples sujets soumis à leur monarque.

La motion-bâillon du 10 décembre 2024, elle-même signée du président, s’inscrit dans cette droite ligne. Le président décide de ce qui est confidentiel ; convoque le sujet fautif de déloyauté ou de non-respect de la confidentialité et lui notifie sa sanction. On notera qu’aucune règle ne s’applique au président lui-même… Ni aux deux personnalités qualifiées qui siègent dans le CA. En effet, par définition une personnalité qualifiée ne siège qu’en son propre nom, elle ne représente aucune organisation, donc elle ne peut perdre sa qualité de représentant d’une organisation professionnelle… Quant au président, il peut difficilement se convoquer lui-même…

3/ Un « devoir de loyauté » envers qui ?

La délibération mentionne la notion « d’intérêt social de la SSAA », cette notion spécifique au droit des affaires concerne les entreprises et sociétés privées, non les associations 1901. Le texte voté confond « intérêt social » et « objet social ». L’objet social est l’ensemble des activités qu’une personne morale est en droit d’exercer. L’intérêt social, c’est l’utilité pour une société d’un acte au regard du bénéfice qu’elle peut en tirer. Les dirigeants et représentants d’une société doivent prendre leurs décisions dans l’intérêt de la société. L’intérêt propre de la société doit primer sur celle de ses membres.

Étendre la notion d’intérêt social à la 2S2A revient à faire prévaloir les intérêts de la 2S2A sur tout autre intérêt. La défense des intérêts moraux et matériels, notamment collectifs, des artistes-auteurs et autrices, qui est le fondement de tout syndicat d’artistes-auteurs, y compris ceux qui siègent dans le CA de la 2S2A, serait donc supplantée par le propre intérêt de la 2S2A !

Par exemple, il était dans l’intérêt de l’Agessa (aujourd’hui 2S2A) de ne pas appeler la cotisation vieillesse de base plafonnée à 94% de ses ressortissants afin de réduire ses frais de fonctionnement. La complicité des administrateurs de l’Agessa pourrait-elle a posteriori être qualifiée de « devoir de loyauté » ?

Actuellement les recours formés par la 2S2A contre les artistes-auteurs qui obtiennent en justice des indemnités en raison des préjudices causés par l’Agessa en matière de retraite, sont certes dans l’intérêt financier de la 2S2A, mais nullement dans celui des artistes-auteurs et autrices…

Un membre du CA qui soutiendrait des artistes-auteurs à qui la 2S2A porte préjudice, conduirait une activité « source de conflit d’intérêts avec la 2S2A »… Ainsi, si la 2S2A porte préjudice à des artistes-auteurs et autrices, les syndicats d’artistes-auteurs et autrices n’auraient pas le droit de les défendre ? On marche sur la tête !

Le devoir de loyauté envers la 2S2A reviendrait pour chaque membre du CA à renoncer à son propre devoir de loyauté envers les artistes-auteurs et autrices qu’il représente, donc à renoncer à ses propres engagements fondamentaux. Le sens même de la désignation des membres du CA est absurdement remis en cause par cette délibération inspirée du droit des affaires.

4/ Un devoir illégal d’opacité

La 2S2A est une entité de droit privé chargée d’une mission de service public, elle est agréée par l’État.

En matière de confidentialité, la référence à l’institut privé l’IFA, mentionnée dans la note de présentation de la délibération, concerne les entreprises et sociétés privées. Là encore cette référence est dénuée de sens et de pertinence pour le CA de la 2S2A.

La seule obligation de confidentialité qui s’applique aux membres du CA de la 2S2A porte sur les données à caractère personnel dont ils pourraient avoir connaissance à raison de leur mission, conformément au Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD). Mises à part ces informations à caractère personnel, la 2S2A ne délivre aucune information qui relève légalement du secret, elle n’est évidemment pas concernée par le secret des affaires, par la confidentialité des procédés de fabrication, par le secret médical ou par des secrets qui concernaient la défense nationale ou la sécurité de l’État, etc.

  • Le « devoir de confidentialité » que veut imposer la 2S2A à ses administrateurs constitue une violation du code des relations entre le public et l’administration.

L’article L311-1 du code des relations entre le public et l’administration impose aux administrations, aux services publics et aux entités de droit privé ou de droit public poursuivant une mission de service public de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande.

La 2S2A est une entité de droit privé poursuivant une mission de service public, elle est donc concernée par l’obligation de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu’elle détient aux personnes qui en font la demande.

L’article L300-2 du même code précise que « Sont considérés comme documents administratifs, …, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’État, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions. »

Ainsi tous les documents produits ou reçus, par les ministères de tutelle ou par la 2S2A dans le cadre de sa mission de service public, ont la qualité de « document administratif » : PV, rapports, notes et réponses ministérielles, avis, décisions et tous les autres documents communiqués aux administrateurs qui sont rattachés à leur mission de service public.

La Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) écrit : « Sont considérés comme administratifs tous les documents produits ou reçus par une administration publique (administrations d’État, collectivités territoriales, établissements publics). Il en va de même pour les documents détenus par les organismes privés chargés d’une mission de service public pour autant qu’ils sont liés, par leur nature, leur objet, ou leur utilisation à la gestion de cette mission. »

Plus précisément, la CADA a déjà eu l’occasion de préciser sa position par l’avis qu’elle a rendu en 2021 à propos des PV du CA de l’Agessa (aujourd’hui 2S2A) : « l’Agessa est un organisme privé chargé d’une mission de service public » en conséquence « les documents administratifs pour la partie relevant de sa mission de service public, sont, communicables à toute personne qui en fait la demande, en application de l’article L311-1 du code des relations entre le public et l’administration ».

De plus, la notion de « données publiques » désigne toutes les informations rassemblées, créées, conservées ou éditées par les administrations, les services publics et les entités de droit privé ou de droit public poursuivant une mission de service public.

Par principe, les données publiques peuvent être réutilisées par toute personne qu’elle soit physique ou morale, publique ou privée. Cette réutilisation peut être faite à une autre fin que celle de la mission de service public pour les besoins de laquelle les données ont été collectées ou produites initialement.

Il résulte de ce qui précède que les documents de la 2S2A relatifs à sa mission de service publique sont des documents administratifs qui bénéficient d’un droit d’accès et d’un droit de communication publique. Ils ne peuvent en aucun cas être considérés comme « confidentiels ».

  • Le « devoir de confidentialité » que veut imposer la 2S2A à ses administrateurs s’oppose au devoir d’information des représentants des organisations qui siègent.

Les personnes physiques déléguées par les organisations qui siègent doivent nécessairement pouvoir rendre compte et informer les personnes morales qu’elles représentent, de leur activité au sein du CA et de ses diverses instances. Un délégué siège au nom de l’organisation qu’il représente, et non, en son nom personnel. Il engage la responsabilité de son organisation, les positions qu’il exprime doivent être en cohérence avec celle de son organisation. Dans le cas contraire, l’organisation est en droit de changer de délégué. Le devoir d’information des délégués ne peut être entravé par un « devoir de confidentialité », sauf à violer le droit à la représentativité.

  • Le « devoir de confidentialité » que veut imposer la 2S2A à ses administrateurs s’oppose au devoir d’information des organisations syndicales qui siègent.

Une organisation syndicale représente non seulement ses adhérents mais les intérêts collectifs de la ou des professions mentionnées à ses statuts. L’organisation elle-même a donc un devoir d’information des artistes-auteurs et autrices qu’elle représente au sein du CA. Le devoir d’information des organisations syndicales ne peut être entravé par un « devoir de confidentialité », sauf à violer le droit syndical.

Les publications syndicales s’inscrivent dans la raison d’être d’un syndicat, à savoir «  l’étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels, des personnes mentionnées dans leurs statuts ». Les syndicats déterminent librement le contenu de l’ensemble de leurs communications, seul un juge peut en exiger le retrait a posteriori et condamner les auteurs en cas d’atteinte à la vie privée ou en cas d’autres infractions de droit commun (par exemple, propos discriminatoires ou diffamatoires, apologie de crimes de guerre, incitation à la haine raciale, etc.)

  • Le « devoir de confidentialité » que veut imposer la 2S2A à ses administrateurs s’oppose au droit à la liberté d’expression.

La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et du citoyen, garantit à toute personne le droit à la liberté d’expression, celle-ci incluant la liberté d’opinion et la liberté de recevoir et de communiquer des informations ; les limites sont de droit commun.

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 énonce que : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme, tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »

Au final, l’application effective de cette délibération ne manquerait pas d’aboutir à « une atteinte grave et manifestement illégale à la jouissance d’une liberté fondamentale », et ce, de la part d’un organisme de droit privé en charge d’une mission de service public !

  • Enfin, ni le président, ni le CA ne peuvent s’octroyer le droit d’exclure le représentant d’une organisation membre du CA.

Le CA de la 2S2A est majoritairement composé de personnes morales qui représentent d’une part les artistes-auteurs et autrices (16 sièges) et d’autre part les exploitants des œuvres (5 sièges). Ces organisations, fixées par arrêté interministériel, délèguent librement les personnes physiques qui siègent en leur nom. Ce choix est souverain.

Nul n’a le pouvoir de s’ingérer dans la désignation des délégués des organisations, et a fortiori de les exclure du CA. En prévoyant l’exclusion d’un délégué, les dispositions de la motion-bâillon violent le droit des organisations professionnelles membres du CA à choisir leur délégué.

5/ Pourquoi cette culture du secret et de l’opacité dans la 2S2A ?

On peut légitimement s’étonner qu’une majorité des membres du CA de la 2S2A ait voté une délibération qui bâillonne leurs représentants et les menace d’exclusion.

On peut légitimement s’étonner que les ministères de tutelles n’aient pas fait opposition à cette délibération illicite, dans le cadre de leur contrôle de légalité.

C’est oublier que la 2S2A est la même entité que l’Agessa avec les mêmes membres fondateurs.

C’est oublier que l’omerta ainsi que le déficit de contrôle tant interne qu’externe ont toujours fait partie de l’ADN de l’Agessa, depuis sa création jusqu’à nos jours.

Très clairement, une majorité des représentants des membres du CA de la 2S2A ne veulent pas que soient connues les positions qu’ils défendent dans la 2S2A, ni ce qu’il s’y passe. En même temps, selon la délégation PPSAPE du ministère de la culture qui a composé ce CA par arrêté, les membres du CA de la 2S2A seraient les seules organisations « représentatives ».

Les « représentés » ont donc bien du souci à se faire…

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Point_6_CA_10102024_Délibération_Devoirs_des_Administrateurs_revue