L’info Noir/blanc n° 16

SOMMAIRE DU N° 16

  • Dites le, au nom du CAAP … Une synthèse des positions du CAAP
  • “Prestations annexes à l’activité d’artiste-auteur”. Réponse de la Maison des Artistes sur la modification de la “fiche de renseignements professionnels”
  • Questions à l’entrepreneur esthète. Lettre d’une adhérente à la suite de la publication d’un entretien avec P. Mairesse, dans 1’Info Noir/blanc n° 15
  • Affaire Bustamante / Mairie de Carpentras. Parcours judiciaire par Agnès Tricoire, avocate de J.-M. Bustamante
  • Petit vocabulaire de l’art contemporain
  • Nominations
  • Site Internet. Le CAAP ouvre un site Internet

EDITO

Au nom du CAAP

Quelque soit l’interlocuteur rencontré et le lieu de l’intervention, le CAAP défend des positions collectives, qui ont été élaborées par des adhérents. Ces lignes de force évoluent au regard des expériences, au fil des débats internes et avec l’apport de chacun. Au nom du CAAP, en votre nom donc, nous intervenons. Nous vous proposons donc une relecture de nos positions.

Depuis le deuxième Congrès de Tours, le CAAP a rencontré plusieurs interlocuteurs à la Direction des Arts Plastiques et a participé à une réunion commune avec toutes les organisations professionnelles, sous l’égide de cette même direction. Il nous semble donc nécessaire de vous faire part du contenu de ces réunions et de réaffirmer les positions que nous faisons valoir.

La légitime présence des artistes

Le CAAP ne cesse de rappeler que les institutions ne doivent pas travailler « pour » les artistes mais « avec » les artistes. Ceci suppose que la question du mode de représentativité des artistes soit posée clairement, même s’il est difficile d’imaginer une réponse totalement satisfaisante à cette question. Il est de toute façon nécessaire et urgent d’en finir avec la cooptation des artistes présents dans les commissions, qui n’est qu’une forme édulcorée de clientélisme. On peut reprendre comme exemple la Commission sur l’enseignement artistique (Commission Imbert, 1997-199B ; voir L’info Noir/blanc n° 10) où siégeaient des artistes-enseignants désignés par I’IGEA (Inspection générale de l’enseignement artistique). Ne pas avoir pensé, ni surtout voulu, organiser dans les écoles d’art des élections de représentants d’artistes-enseignants pour siéger dans cette commission, montre bien le déficit démocratique des institutions de l’art contemporain. Déficit inchangé à l’heure actuelle. Rappelons que des· artistes cooptés, quelles que soient leurs qualités, ne parlent que pour eux-mêmes et n’ont de compte à rendre à personne. D’autre part, isolés, ils sont dans l’incapacité de faire circuler l’information et d’ouvrir une réflexion collective. Ils acceptent ainsi de renforcer l’opacité et la rétention qui arrangent ceux qui les cooptent.

Le CAAP souhaite rendre les artistes autonomes et non plus assistés ou clients de l’institution. Les artistes doivent être présents, non seulement dans toutes les commissions aux niveaux central et déconcentré, mais aussi comme responsables de structures. Nous ne pouvons que souligner la situation paradoxale, qui veut que les artistes exercent tous ou presque une double activité et qu’ils soient écartés des charges et fonctions les plus proches de leur activité artistique. Pour remplir ces charges et fonctions, une classe d’intermédiaires s’est développé et a restructuré le milieu de l’art contemporain à son profit. Ainsi une nouvelle dépendance économique s’est inscrite au coeur des relations des artistes avec leurs partenaires : l’artiste, qui exerce une double activité, doit non seulement s’autofinancer mais créer un marché suffisamment fort pour justifier la mono-activité des intermédiaires.

La seconde activité des artistes est cantonnée au mieux à l’enseignement, au pis à des chantiers au noir ou au RMI. On peut s’interroger sur la sélection économique et sociale des artistes qui s’est mise ainsi en place et qui fait dépendre la possibilité de construire un travail plastique de l’indépendance économique apportée par une autre activité. Redevenir acteur et responsable à tous les niveaux est donc une urgence. Revendiquer une indépendance pour créer est légitime, mais accepter en échange de ne pas investir toutes les strates de l’art contemporain, c’est accepter d’être un citoyen de seconde zone. Ce n’est pas en tout cas un problème de compétences. À notre connaissance, les rares artistes, directeurs d’écoles d’art ou de quelques autres lieux, n’ont pas failli. Et les dérives de gestion, qui sont remontées à la surface ces dernières années, ne sont pas leur œuvre, mais bien celle d’intermédiaires soi-disant formés au travail administratif et à la comptabilité publique !

Pour l’instant, nous assistons au grand jeu des chaises musicales qui s’emparent des intermédiaires de l’art contemporain tous les deux ou trois ans. Les nominations récentes (voir encadré, page 7 ) illustrent les capacités étonnantes de ces intermédiaires à être multi-compétents et à se glisser dans n’importe quel costume – capacités, faut-il le rappeler, qu’un artiste ne peut pas posséder ! On en est réduit à s’interroger douloureusement sur la politique de modernisation. Ou pour être plus clair, comment ne pas relever les contradictions entre certaines de ces nominations, décidées par le cabinet du Ministre, et les missions confiées au Délégué des arts plastiques, Guy Amsellem.

Réorienter les priorités vers le collectif

Nous le disons, nous le répétons, il faut changer les priorités : arrêter de privilégier les rapports individuels avec les artistes et les couples médiatiques inspecteur de la création artistique / artiste, stopper la confusion entre les missions d’un service public et les choix d’ordre affectif.

Nous désirons que la plupart des aides soit réorientée vers des structures collectives. Il faut inventer un grand projet culturel d’aménagement du territoire, qui prennent en compte les multiples initiatives associatives qui non seulement créent de nouvelles formes d’activités et de nouvelles implantations pour l’art contemporain, mais permettent l’expression diversifiée et éclatée de toute la création contemporaine. C’est ce maillage du territoire - et cette liberté d’accès à toutes les pratiques de l’art contemporain, qui secouera la méconnaissance ou l’indifférence de nos concitoyens. De nombreuses initiatives existent déjà, souvent même dans des villages et avec l’engagement de la population (par exemple en Bretagne, dans la Meuse, etc.) mais on peut constater que ces expériences sont toujours créées en l’absence de toute aide de l’institution, si ce n’est contre le dénigrement que l’institution a porté sur ces projets. C’est à un basculement du mode de pensée et d’action que nous appelons : le ministère et ses services déconcentrés doivent arrêter d’initier des projets parachutés et venir en soutien des initiatives régionales et locales.

Deux exemples peuvent être cités :

  • l’aveuglement de la DAP sur la nécessité de soutenir fermement le salon "Jeune Peinture" ( devenu “Jeune Création”). L’incapacité de comprendre que des lieux de relais, ouverts mais exigeants, indépendants et peu coûteux, sont vitaux pour les jeunes artistes, nous laisse croire qu’aucun changement n’est intervenu à la DAP.
  • prisonnier d’une politique médiatique et spectaculaire, l’engagement du Ministère pour le Centre d’art du palais de Tokyo est le recommencement d’une histoire qui se répète. Après le Jeu de Paume, on choisit un lieu qui sent sa classe sociale, on prépare un budget qui aurait permis de soutenir une bonne dizaine de petites structures éparpillées sur la région, et on achoppe sur la nomination du/des directeurs, tout en refusant que ce soit un artiste. Dérisoire et sans avenir. L’inquiétant scénario, qui s’est déroulé en coulisses avec pression de toutes sortes, pour nommer les futurs directeurs ( parions qu’ils s’entre-tuent avant la fin de leur mandat ! ) n’augure rien de nouveau pour ce centre qui ne répondra à aucune demande puisque sa raison d’être n’a jamais été définie. Indépendant, le nouveau centre d’art ? Soit, mais personne n’ose s’aventurer à conclure la phrase : indépendant vis-à-vis de qui ou de quoi ?

Clarifier les missions des institutions

Le pitoyable exemple du Centre d’art du palais de Tokyo est-il symptomatique de la mission de modernisation de la DAP ? Ne le souhaitons pas ! Le sens des missions de service public sera-t-il la colonne vertébrale de la nouvelle organisation de la DAP ? Espérons-le, comme nous souhaitons que cette réorganisation soit propice à une clarification des missions de chacun. Car pour le dire le plus simplement, connaître les missions exactes de la DAP et des institutions déconcentrées est un emploi de chineur à plein temps. Le premier acte, celui que nous préférerions, serait de rendre disponible pour tous les artistes un fascicule qui détaille les fonctions réelles de tout un chacun et entre autres, du nombre pléthorique d’inspecteurs de la création artistique.

Car si la fonction d’un inspecteur est d’effectuer un travail en amont et en aval du secteur d’intervention dont il a le contrôle, on ne saisit pas très bien comment une des dernières commandes publiques de la DAP a été conçue. Cette commande publique - « Entrée Libre », ensemble d’une vingtaine d’oeuvres sur internet - a été initiée par un inspecteur de la création artistique en charge des nouvelles technologies, qui a choisi elle-même les artistes et en a assuré le commissariat, puis le suivi médiatique. La DAP est ainsi devenue un centre d’art virtuel et l’inspecteur, un commissaire d’exposition. Est-ce la mission de la DAP ? Et celle d’un inspecteur de la création artistique ? La résonance du terme « commande publique » induit, pour nous, qu’il y ait un appel d’offres ouvert et public, et non pas désignation arbitraire. La sagesse aurait été qu’il y ait même un double appel d’offres : l’un pour le commissariat de la commande auprès des structures travaillant déjà avec les nouvelles technologies dont les écoles d’art ; l’autre pour choisir les projets d’artistes à mettre en ligne. Mais sans doute est-ce trop demander qu’il soit rappelé à chacun ses missions ?

Mettre un terme à la confusion privé / public

Le deuxième acte d’un changement serait de mettre fin à la confusion constante entre mission publique et marché privé. Les exemples foisonnent et pour ne pas citer l’un des derniers, rappelons la dernière mission de Nicolas Bourriaud. Nommé par l’AFAA (association dépendante du Ministère des Affaires Etrangères), il avait pour charge de mettre en valeur la jeune création française au sein d’une foire (l’ARCO / Madrid). Cela donne, en résumé, un commissaire privé, stipendié par l’Etat pour distribuer de l’argent public à des entreprises privées (galeries) sur des critères subjectifs et personnels. Sans doute, voulait-on mettre en valeur l’indépendance du choix et dégager toute responsabilité de l’Etat ? Encore faudrait-il que les règles du jeu ne soient pas confuses, que les choix soient transparents, qu’en échange de toute subvention, des contraintes et des contrôles soient exercés et enfin que soit définie la mission culturelle de l’Etat dans une foire ?

Malheureusement, personne ne semble capable de tirer des leçons de ces expériences passées. Qui aurait pu imaginer que la demande de quelques galeries d’inviter le FRAC Pays de Loire à la FIAC 99 serait examinée avec sérieux ? Le dossier a été ouvert, 180m2 de visibilité à la FIAC ne se refusent pas ; la DAP, qui n’a pas d’argent pour soutenir de jeunes structures, a envisagé de mettre la main à la poche. D’autres galeries, s’étant plaintes de l’effet d’aubaine qui ne profitera qu’à certaines d’entre elles par la double représentation de leurs artistes, sont montées aux créneaux. Finalement le FRAC Pays de Loire ne sera pas présent à la FIAC. Mais le seul fait que ce dossier ait pu être ouvert est scandaleux. Quelles sont les missions d’un FRAC ? Que vient-il faire au milieu d’une foire ? Promouvoir une carrière internationale ? Faire du spectacle ? Justifier toutes les critiques faites aux FRAC depuis une décennie ?

Et vive la modernisation de la DAP !

Le troisième acte est un travail de fond, qui a été entrepris loin de tout effet de manche et qui empêcherait tout honnête homme de sombrer dans une profonde dépression. Encore faudra-t-il que ce travail soit pris en compte et donne naissance à de nouvelles méthodes ! En effet un ensemble de groupes de réflexion, internes à la DAP. ont été mis en place pour faire des propositions au Délégué aux arts plastiques. Ces groupes, au nombre de douze, travaillent sur des thèmes très ouverts qui vont des aides individuelles à la démocratisation de l’art contemporain, en passant par le droit des artistes, l’ international, les artothèques, les nouvelles technologies, l’édition, etc. C’est dans la suite logique du travail de ces groupes que la DAP a désiré consulter les organisations professionnelles et représentatives des artistes plasticiens, et principalement sur les thèmes suivants : "les aides individuelles, professions, emploi-formation". À cette occasion, le CAAP a réexprimé, de manière plus ponctuelle, ses prises de positions sur un certain nombre de points :

Le recensement des artistes

Il nous a toujours semblé important de trouver un moyen de recenser les artistes -dont le nombre est largement sous estimé (voir lnfo Noir/blanc, no 15, p. 2). Cette lacune empêche- et peut-être évite à la grande satisfaction de quelques uns - de penser une politique globale et ouvre un vaste champ de questions : combien d’artistes sont concernés par les procédures mises en place par la DAP ? Quel est le statut social de la majorité des artistes ? Quelle double activité prédomine ? Quel pourcentage d’inscrits à la Maison des Artistes, au RMI ? etc.

Les aides à la création et autres

Le CAAP ne remet pas en cause les aides individuelles à la création, ni les autres aides ( bourse de recherche, atelier, etc. ) mais demande, comme dans tous les autres domaines, une plus grande transparence et une meilleure information des artistes. Il paraît nécessaire et normal que pour chaque aide, le budget alloué et sa répartition soient publiés ainsi que la composition des commissions. Dans le cadre des aides individuelles, deux réformes devraient être envisagées : 1) Un cahier des charges très précis doit être établi et un contrôle de suivi du projet des artistes, afin que ces aides ne soient pas confondues avec des aides sociales, « des prothèses » comme le disait Anne Tronche. (2) Les commissions doivent attribuer ces aides à partir de dossiers anonymes. Le nom et le CV, tout le monde le sait, emportent actuellement de nombreuses décisions. L’anonymat forcera les commissions à établir de véritables critères sur des projets et rendra leurs décisions encore plus légitimes. Ce mode de faire devrait d’ailleurs s’étendre aussi à toute les commandes publiques.

L’information

L’information a toujours été au centre du travail du CAAP. Nous ne cessons de demander que la culture du secret soit dissipée. Une lettre d’information de la DAP ou des DRAC pourrait donner les informations à destination des artistes. D’autre part, un guide pratique qui ne se résumerait pas à une liste de numéros de téléphone doit être élaboré. Les artistes ne reçoivent aucune formation juridique, sociale ou fiscale, et contrairement à ce que disent certains directeurs d’écoles d’art, ces formations minimums ne sont pas assurées dans leurs établissements. La carence de l’inspection à l’enseignement artistique et de la DAP est à cet égard impardonnable, mais il est vrai que mettre en place un cycle d’interventions dans les écoles ou faire un tel guide est un travail de soutier ...

Les droits d’auteur

Le CAAP avait fortement rappelé au Congrès de Tours qu’il est étonnant qu’on puisse entendre des prises de positions partisanes sur les droits d’auteur sans jamais en référer aux artistes. Le ministère n’a jamais pris la peine, par exemple, de nous informer des suites données à la réunion sur le droit de suite où les organisations professionnelles avaient été consultées (sept. 98). En résumé, on continue à négocier
dans le dos des artistes. L’harmonisation européenne est à l’étude, nous dit-on. Mais qui a donné mandat aux négociateurs pour nous représenter ? Pas nous et aucun autre artiste ! Nous avons proposé, pour ouvrir un débat plus large et pour nous réapproprier ce droit, de « négocier » ce droit de suite sous la forme d’un « autofinancement du milieu artistique ». Sa collecte serait assurée par un organisme indépendant qui aurait pour charge sa redistribution en soutien aux structures associatives. Nous avions également attiré l’attention sur le droit de monstration, qui est inexistant dans les arts plastiques. L’ensemble des organisations professionnelles demande la mise en place de ce droit de monstration.

Les relations artistes / galeries

Face à un certain nombre de non-dit ou de points de litiges entre des artistes et des galeries (L’info Noir/blanc, n° 11 et no 15, p. 4), nous avons demandé que des réunions tripartites (artistes-galeries-DAP) soient organisées. Quelques exemples : la mauvaise habitude d’un grand nombre de galeries de répartir la TVA entre l’artiste exonéré et elle-même ; les contrats d’exclusivité léonins, etc.

Statut / RMI / Maison des Artistes

Un certain nombre d’autres points ont été débattus au cours de ces rencontres. Principalement la difficulté d’aborder le problématique statut de l’artiste sans corseter celui-ci dans une posture définitive. L’absence de statut, par contre, a des effets pervers tels que l’impossibilité pour un artiste de bénéficier d’une formation, ou encore le paradoxe d’avoir à s’insérer quand il s’inscrit au RMI. Nous signalons à cet égard le travail remarquable, mené par le SNAP-CGT, pour la mise en place d’une « aide de base à la création » qui se substituerait au RMI. Si nous soutenons les efforts récents
de la Maison des artistes pour faire évoluer les seuils et délais d’affiliation, nous nous inquiétons toujours de la difficulté incompréhensible d’obtenir des renseignements précis et efficaces (voir la réponse de la MdA à notre dernier courrier, page 5). Nos suggestions, ainsi que celles des autres organisations professionnelles ont été écoutées, peut-être entendues. Une liste de thèmes de réflexion, qui recoupent les différents points abordés plus haut, a été retenue. Ils pourraient - ils devraient - faire l’objet de réunions de travail. La décision en incombe à M. Guy Amsellem. le délégué.

Peut-il nous désespérer ?

Le CAAP