L’info Noir/blanc n° 12

SOMMAIRE DU N° 12

  • Silence et solitude. À propos de l’incapacité de notre institution de tutelle à intervenir sur le champ de l’art contemporain quand il s’agit de le défendre sur la Place Publique.
  • Tribune libre. Un texte de Daniel Schlier, dont une oeuvre a récemment été mis à l’index par le Front National
  • Évitez les conflits avec le Ministère de la culture. Exerçant sa lenteur et son dédain, le ministère laisse une décision de justice s’enliser…
  • École d’art, suite … Compte rendu d’une enquête réalisée par trois étudiants de lécole d’art de Strasbourg auprès des autres écoles.
  • Précisions. Monsieur Pierre Cochard, directeur-adjoint de l’école d’art de Cambrai, nous fait parvenir quelques précisions concernant le devenir de cette école.
  • Brèves / Une dégustation poujadiste

EDITO

Censure

Ce que nous payons aujourd’hui, ce n’est pas seulement le délire ou la paranoïa réactionnaire de quelques élus, c’est aussi le résultat d’un bilan particulièrement négatif. Celui du travail qui, depuis quinze ans, aurait dû être effectué sur le terrain auprès du public et des citoyens, par des responsables institutionnels dont c’était la mission…

Pour promouvoir son parc installé sur le Parvis de la Défense durant la Coupe du monde de football, Nike a lancé une campagne constituée notamment d’une série d’affiches empruntant délibérément des slogans et un graphisme digne des grands moments du totalitarisme (qu’il soit nazi, fasciste ou stalinien m’importe personnellement assez peu).

Bien que de courte durée, cette campagne a soulevé un certain émoi. De nombreuses personnes ont vivement réagi ou émis de sérieuses réserves (que ce soit dans la presse quotidienne ou dans la presse spécialisée), contre l’utilisation pour le moins douteuse de pareils symboliques pour promouvoir un sport (et une marque). Sport par ailleurs régulièrement critiqués pour les débordements violents et les idéologies qu’il véhicule, de fait... Rassurez-vous, mon intention n’est pas de m’étendre plus que nécessaire sur cette manifestation mondiale et sportive (elle est d’abord l’une avant d’être l’autre), mais de saisir l’occasion qui m’est donnée pour faire une petite remarque « comportementale ». Nous sommes donc les premiers à réagir et à nous élever, parfois avec virulence, contre des faits, des actes et des prises de positions que nous considérons idéologiquement malsaines, déplacées ou dangereuses. Nous exprimons des réserves, des critiques et · le cas échéant notre refus lorsque nous le jugeons nécessaire... Et à une époque où l’utilisation et le détournement de_propos, d’images et de symboles, souvent à des fins mercantiles, amène régulièrement à une confusion du sens, c’est un principe de vigilance qui me semble tout à fait légitime.

Une fois ce principe acquis, il ne faut pas être très intelligent pour comprendre dans quelle position s’est retrouvé le maire de Rabastens au mois de Juin dernier.

 Le Maire de Rabastens (Tarn), en sa qualité de responsable de l’ordre public sur la commune.

  • Considérant l’absence d’information sur la nature et le contenu de l’exposition de l’Atelier VAN LIESHOUT.
  • Au vu des symboles qui sont développés (comportements, violence,armes, alcool, drogue, sexe) qui heurtent profondément la population.
  • Considérant qu’il ne s’agit là non d’une interpellation artistique mais d’un acte de provocation délibéré vis-à-vis des rabastinois et de la société en général, et que cette exposition est en totale contradiction avec les actions de prévention de la délinquance développée tant au niveau national que local.
  • Considérant le danger que peut présenter le stockage de certains produits.

ARRÊTÉ
Article 1 : l’exposition Van Lieshout sera interdite sur le territoire de la Commune, à compter du lundi 8 juin 1998, 14 heures. 
Etc.

Pour mieux comprendre il me semble nécessaire d’apporter quelques précisions sur le contenu de l’exposition : « L’atelier Van Lieshout avait installé sur la promenade de Rabastens trois conteneurs : l’un transformé en fabrique d’alcool, un deuxième en atelier d’armes et un dernier en cuisine intégrée. Une autre œuvre, une chambre cossue sur roulettes, baptisée « le baisodrome » était exposée dans un musée et une Mercédès, surmontée d’une mitraillette, circulait dans les rues. » (AFP juin 98) Il n’est naturellement pas question ici de soutenir la décision du Maire, l’acte de censure n’étant pas tolérable. Mais de profiter de cette occasion (malheureuse) pour affirmer
une nouvelle fois que nous sommes dans une impasse ...

Quoi qu’en pensent certains, un artiste est avant tout citoyen et donc responsable. Si son travail l’amène naturellement à la création et à l’exposition de travaux sensibles tels que ceux-ci, alors il est aussi de sa responsabilité de faire en sorte que son oeuvre ne soit pas perçu comme « de la provocation délibérée » mais bien comme "une interpellation artistique" (pour reprendre les termes du Maire). Et comme il n’est pas question non plus d’encourager une quelconque autocensure, ne serait-ce même que l’idée d’une auto-censure, et bien cela nous amène tout naturellement à nous interroger sur le rôle des médiateurs.

Il serait bon qu’enfin, nos partenaires prennent réellement conscience de leur responsabilité.
Être commissaire d’une exposition, et particulièrement d’une manifestation comme celle qui devait se dérouler à Rabastens, ce n’est pas seulement inviter un artiste et envoyer des cartons d’invitation, c’est aussi être capable de faire un travail en amont, aussi colossal soit-il, auprès de toutes les personnes concernées, afin d’éviter ce genre d’écueil.

Les organisateurs de cette exposition tout comme les responsables de la communication de Nike, pourront toujours se justifier, invoquer un malentendu ou hurler à la censure, c’est trop tard. C’est encore une fois trop tard, et nous sommes tous perdant, et les artistes d’abord …