Les deux organismes de sécurité sociale des artistes auteurs (MDA-SS et AGESSA) n’ont plus de Conseil d’administration, autrement dit : ils n’ont plus d’organe décisionnaire depuis avril 2014.
Quid de la continuité de service public de la sécurité sociale des artistes auteurs ?
1/ Un acte manqué qui pose question
Les dernières élections des membres du CA de la MDA-SS, d’une part, et du CA de l’AGESSA, d’autre part, ont eu lieu en avril 2008. La mandat des administrateurs est de 6 ans. Il en résulte que leur mandat touchait à sa fin en avril 2014.
Compte tenu de la réforme prévoyant notamment la fusion entre les deux organismes et avec l’accord des administrateurs élus actuels, les ministères de tutelle (le ministère de la Santé et le ministère de la Culture) ont déposé en juin 2014 un projet de décret au Conseil d’Etat pour proroger les mandats des membres des CA jusqu’au 31 décembre 2015. (cf PJ DCE prorogation mandats CA MDA-AGESSA)
Le Conseil d’Etat a refusé cette prorogation, le projet de décret étant postérieur à la fin de mandat. Par définition même, la durée d’un mandat ne peut être prorogé s’il est déjà échu. Le Conseil d’Etat ne badine pas avec les mandats électifs.
Le ministère de la Culture plaide pour sa part « une interprétation irréfléchie quant à l’échéance des mandats (échéance 6 ans après les élections et non après les premiers CA) ». La DSS (Direction de la Sécurité Sociale) ne donne aucune explication.
Cette question avait été abordée largement en amont par les administrateurs de la MDA-SS en présence des représentants des tutelles. Chacun des deux ministères concernés dispose d’un service juridique compétent sur ces questions. Cette incurie conjointe des deux ministères de tutelle laisse donc pour le moins perplexe ; l’absence de communication officielle à ce sujet et le lourd silence sur les suites données aussi…
Erreur malencontreuse ? Volonté délibérée ? Incompétence ? Manipulation grossière ?
Toutes les hypothèses circulent, seule la suite des évènements confirmera ou infirmera les unes ou les autres…
2/ Les conséquences immédiates
Les administrateurs des deux organismes ont donc participé - sans le savoir - à leur dernier Conseil d’Administration en mars (AGESSA) et avril (MDA-SS) 2014, les séances suivantes fixées en fin de réunion ont été annulées a posteriori. A ce jour, il n’y a plus d’organe décisionnaire pour les organismes de sécurité sociale des artistes auteurs. En effet, selon le code de la sécurité sociale, le Conseil d’Administration règle par ses délibérations les affaires de l’organisme, il vote les comptes annuels, le budget prévisionnel, il contrôle l’application par le directeur et l’agent comptable des dispositions législatives et réglementaires, ainsi que l’exécution de ses propres délibérations… L’absence de gouvernance et de contrôle des organismes sociaux n’est pas un point de détail.
La Commission d’Action Sociale, commune à la MDASS et l’AGESSA, ne peut plus prendre de décision non plus, faute de pouvoir siéger. En effet, la CAS est une émanation des deux Conseils d’Administration.
Ce qui signifie que depuis la dernière réunion CAS le 4 mars 2014, les demandes d’aide sociale des artistes auteurs ayant des difficultés pour régler leurs cotisations sociales s’accumulent sans être traitées. Les services administratifs nous ont assuré qu’aucun dossier relevant de la CAS ne serait transmis au service contentieux de l’URSSAF. Nous conseillons aux artistes auteurs en difficulté de continuer à déposer leurs demandes d’aide.
Pour en savoir plus voir notre article La CAS une commission méconnue des bénéficiaires potentiels : lien.
En attendant que cette situation invraisemblable se régularise, attention : il peut y avoir une incidence immédiate pour les artistes auteurs qui ont fait valoir leurs droits à la retraite en même temps qu’une demande (non traitée) de prise en charge de cotisations par la CAS. Nous conseillons aux artistes auteurs dans ce cas d’être très vigilants sur le nombre de trimestres validés et de veiller à ce qu’une régularisation ultérieure intervienne s’il leur manque des trimestres.
Cette suspension inopinée de la CAS arrive précisément au moment où une situation d’urgence avait donné lieu à une réunion extraordinaire de la CAS le 16 avril 2014. En effet, les ressources annuelles affectées à cette aide sociale sont artificiellement et règlementairement limitées à 2% de la contribution des diffuseurs, soit environ 0,25% du montant global des cotisations sociales collectées ! Ce montant homéopathique annuel est insuffisant depuis fort longtemps ; bon an mal an, la CAS pourvoyait aux besoins en puisant dans un reliquat accumulé en d’autres temps.
Le reliquat arrive à épuisement en 2014. Faute d’anticipation du problème, la CAS n’allait bientôt plus pouvoir fonctionner. Et pourtant - dès 2012 - les membres de la CAS et des Conseils avaient alerté les tutelles de ce déséquilibre financier aisément prévisible, en vain. Les tutelles ont fait la sourde oreille en attendant que la CAS arrive au pied du mur.
D’où cette réunion extraordinaire du 16 avril 2014 à l’initiative des membres de la CAS et au cours de laquelle les représentants des tutelles envisageaient enfin de promulguer un décret majorant le taux règlementaire de financement de façon à ce que le montant annuel alloué couvre l’estimation des besoins annuels. Pour autant, les courriers envoyés aux ministères de tutelles le 22 mai 2014 (cf le document pdf joint) sont toujours sans réponse à ce jour… Or ce dossier sensible est extrêmement urgent.
La Commission d’Examen des Comptes et la Commission des Marchés Publics qui émanent des CA de chaque organisme n’existent plus.
Les Commissions Professionnelles, pour leur part, émanent des organisations professionnelles des artistes auteurs (et non des CA des deux organismes). Elles continuent donc de fonctionner : les milliers de déclarations d’activité 2013 sont encore en cours de traitement.
3/ Quelles mesures prendre ?
- La nomination immédiate d’un administrateur provisoire
L’ article R382-14 du code de la sécurité sociale stipule : « Le préfet de région peut, en cas d’irrégularité grave, de mauvaise gestion ou de carence du conseil d’administration, suspendre ledit conseil, ou l’un ou plusieurs de ses membres, et nommer un administrateur provisoire. Les mêmes dispositions s’appliquent au directeur. »
En toute « modestie », le code de la sécurité sociale prévoit la carence d’autrui (celle des administrateurs ou celle du directeur) mais non celle des tutelles elles-mêmes. De fait, nous sommes actuellement dans « un cas d’irrégularité grave » et une situation de « carence » des Conseils d’Administration (au sens d « absence ») due à la « carence » des ministères de tutelle (au sens de « manquer à ses devoirs »).
A ce jour, nous ignorons si le préfet de région a été informé de la situation par les tutelles. Or pour permettre la continuité du service public de sécurité sociale aux artistes auteurs, il est urgent que soit nommé un administrateur provisoire. En revanche, il est impensable qu’en lieu et place d’un administrateur officiellement nommé et doté des prérogatives des CA soit envisagé un pilotage direct des organismes sociaux par la DSS ou par le Directeur. Par défaut, c’est actuellement le cas. Cette situation anormale ne peut, ni ne doit, perdurer.
- Le rétablissement dès septembre 2014 des réunions de la commission d’action sociale (en tant que « groupe de travail consultatif ») sous la responsabilité juridique et décisionnaire de l’administrateur provisoire.
Comme nous l’avons vu précédemment, pallier la carence actuelle de la CAS et son sous-financement sont des urgences prioritaires.
- La « création » de deux « comités de pilotage », l’un pour l’AGESSA, l’autre pour la MDA-SS, constitués des CA respectifs issus des dernières élections.
Aucun « administrateur provisoire » n’est formé aux problématiques spécifiques des artistes auteurs, un accompagnement est nécessaire. A cet effet, deux « comités de pilotage » constitués des membres des ex-Conseils d’Administration de l’AGESSA et de la MDA-SS collaboreraient avec l’administrateur nommé. Notons que les ex-administrateurs ont non seulement été élus mais sont également eux-mêmes artistes auteurs ce qui leur confère une expertise et une légitimité particulière.
Ainsi la prorogation - prévue mais inaboutie - des mandats des deux CA peut se résoudre par la nomination d’un administrateur provisoire qui prendrait systématiquement en compte l’avis des CA dont le mandat est échu, et qui seraient constitués en deux « comités de pilotage ». Et ce, jusqu’à la mise en œuvre de la réforme, fin 2015 ou courant 2016.
- La nomination d’un commissaire aux comptes contrôlant les comptes annuels de chacun des deux organismes.
S’agissant du contrôle des comptes et des budgets de chaque organisme l’« administrateur provisoire » demanderait l’avis de l’ex commission aux comptes en tant que « groupe de travail » et s’appuierait sur l’expertise d’un commissaire aux comptes.
Rappelons que le CA de l’AGESSA avait missionné un commissaire au comptes en 2012. Ce dernier a refusé de certifier l’exercice clôt au 31 décembre 2012 notamment en raison de taux d’anomalies informatiques élevés et faute d’avoir obtenu « une assurance suffisante sur la fiabilité, l’exhaustivité et la sécurité des traitements informatiques des opérations comptabilisées » et du fait que “l’Agessa n’appelle pas depuis sa création les cotisations vieillesse aux assujettis non affiliés. Les cotisations prélevées par les diffuseurs pour les assujettis non affiliés n’ouvrent aucune droits pour ces dernier à l’assurance maladie ou l’assurance retraite” (cf le pdf joint : rapport commissaire aux comptes 2012 AGESSA). La MDA-SS pour sa part n’a jamais eu de commissaire aux comptes.
Sachant que l’AGESSSA collecte environ 140 millions d’euros et la MDA-SS environ 100 millions d’euros, il est incompréhensible que jusqu’à présent les comptes annuels des organismes ne soient pas systématiquement certifiés par un commissaire aux comptes. Actuellement les comptes sont uniquement soumis à l’approbation des membres des CA. Pourtant l’article L114-8 du code de la sécurité sociale dispose « Les comptes des organismes nationaux de sécurité sociale… ainsi que ceux des organismes créés pour concourir au financement de l’ensemble des régimes, sont certifiés par un commissaire aux comptes ».
- Une piste à écarter : l’organisation d’élections avant la réforme
Dans le contexte actuel, l’organisation improvisée d’élections de nouveaux administrateurs dans les deux organismes serait l’option la plus absurde, la plus lente, la plus inefficace, la plus chère, la plus suspecte pour le présent et la plus inquiétante pour l’avenir.
La plus absurde : soit la prorogation des mandats avait un sens, soit elle n’en n’avait pas. Le fait que la procédure n’ait pas abouti (par erreur sur la date d’échéance effective des mandats) ne retire rien à sa cause première : le projet de réforme en cours et l’inopportunité d’envisager des élections à des dates trop rapprochées. Envisager aujourd’hui l’inverse reviendrait à considérer que l’idée d’une prorogation n’était qu’une lubie passagère dénuée de sens et la réforme une simple vue de l’esprit.
La plus lente : même organisée dans la précipitation (ce qui n’est jamais souhaitable en soi), l’organisation d’élections prend des mois. Au plus tôt, ces élections pourraient se tenir à la fin de l’année 2014 ou plus probablement courant 2015. Pendant ce temps là, les dossiers en attente de décision continueraient à s’empiler et les problèmes se multiplieraient au lieu de se résoudre.
Bien sûr, l’organisation d’élections n’a pas été anticipée par les tutelles, elle deviendrait subitement leur seule priorité, cependant que les sujets de fond en cours seraient, une fois de plus, repoussés sine die.
La plus inefficace : les modalités règlementaires en vigueur relatives aux élections sont extraordinairement lourdes et archaïques. Créées à une époque que les moins de 50 ans ne peuvent pas connaître, elles n’ont jamais été réactualisées. Une organisation efficace et fiable des élections nécessiterait non seulement un nouveau décret en Conseil d’Etat mais aussi des conditions matérielles techniques qui ne sont nullement réunies. Rappelons que les systèmes informatiques des organismes sociaux sont obsolètes ...
La plus chère : Les élections ont un coût non négligeable largement majoré par l’anachronisme des dispositions actuelles. La DSS a toujours vu d’un mauvais œil cette dépense politique, d’autant que les élections sont devenues une rareté dans l’organisation de la sécurité sociale. Veut-elle aujourd’hui doubler cette dépense sur deux ans ?
La plus suspecte pour le présent : sous couvert d’attendre le résultat des élections, la situation actuelle perdurerait avec en guise de gouvernance un pilotage direct de la DSS via le directeur. Serait ainsi « testé » subrepticement un fonctionnement sans CA : situation idéale pour ceux qui confondent CA et chambre d’enregistrement. Contrairement au plaisant administrateur-pot-de-fleur, l’administrateur actif, vigilant, critique et force de proposition n’est guère apprécié de direction et/ou de tutelle ferventes d’excès de pouvoir. Pas d’administrateurs du tout ? Un rêve technocratique qui se réalise pleinement !
La plus inquiétante pour l’avenir : organiser des élections comme si de rien n’était, n’est-ce pas de toute évidence le début de l’enterrement de la réforme ? Ou éventuellement les prémices d’une réforme technocratique faite « à l’insu du plein gré » des premiers concernés ? Dans deux ans, la DSS ne s’opposera-t-elle pas à de nouvelles élections sous couvert d’inopportunité budgétaire ?
4/ Quid de la réforme du régime de sécurité sociale des artistes auteurs ?
Depuis la dernière réunion avec les représentants des organisations professionnelles des artistes auteurs en février 2014, aucune nouvelle séance de concertation n’a été organisée, aucun calendrier, aucune position des ministères n’ont été communiqués.
Bref, la réforme est au point mort, concrètement tout reste à faire.
Parmi les modalités d’action choisies par les pouvoirs publics, le silence et l’inertie ne sont pas les moins courants, ni les moins signifiants.
Comment ne pas y voir le signe avant-coureur de l’abandon sournois d’une réforme indispensable ? Comment ne pas percevoir en germe la lâcheté d’un pouvoir politique qui se contenterait d’effets d’annonce et de promesses jamais tenues ?
De qui se moque-t-on ? Qui pourrait être aveugle au point de ne pas voir que nous sommes aujourd’hui arrivés à une situation de non retour en raison de l’archaïsme et des dysfonctionnements improbables de l’AGESSA et de la MDA-SS ?
Le CAAP demande aux ministères concernés de réaffirmer clairement leur volonté de réforme par la ré-ouverture des négociations avec les organisations professionnelles.
La nomination d’un chef de projet professionnel sur la réforme est l’urgence … depuis un an. L’heure n’est pas à reculer mais à enfin avancer avec méthode et détermination.