NON A L’ENTERREMENT DES ARTS VISUELS DANS LA LOI RELATIVE A LA LIBERTE DE CREATION

Aujourd’hui plus que jamais il est impensable que la loi sur la liberté de création fasse l’impasse sur les auteurs d’arts visuels : dessinateurs, peintres, sculpteurs, photographes, graphistes, etc. Or dans l’état actuel du projet, aucune mesure concrète n’est envisagée. Se focalisant exclusivement sur les artistes-interprètes (salariés), ce projet "oublie" les artistes-auteurs (travailleurs indépendants) et par là même les exclut tout simplement de "la création" ! Eternels parents pauvres de la politique culturelle, écarter les arts visuels du projet de loi sur la création constituerait une erreur politique grave qui résonnerait sinistrement.

Alors que le poids économique des arts graphiques et plastiques arrive en tête dans la culture, les ministres de la culture qui se succèdent ont un point commun : tous laissent éternellement en friche le champ des arts visuels !

Ecarter les arts visuels du projet de loi sur la création témoigne d’un désintérêt de la puissance publique pour l’ensemble du secteur. Les représentants des arts visuels (artistes et diffuseurs) n’ont pas été consultés sur ce projet de loi depuis décembre 2013. L’avant projet qui circule actuellement a été fait à leur insu. Cette déconsidération du gouvernement est d’autant plus grave que la maltraitance économique et sociale des auteurs d’arts visuels appelle de nombreuses mesures urgentes.

Nul ne peut s’étonner que la ministre ait parlé de son projet de loi sur la création uniquement devant le CNPS (Conseil National des Professions du Spectacle), en effet seuls les artistes-interprètes sont visés, les artistes-auteurs des arts visuels eux sont totalement exclus du projet de loi, le secteur des arts visuels n’a pas de Conseil National.

L’ensemble des représentants des arts visuels tant artistes-auteurs que diffuseurs ont demandé aux pouvoirs publics en 2013, dès le début des concertations sur cette loi, la création d’un Conseil National des Professions des Arts Visuels. Sans l’existence d’un tel lieu de dialogue, il est clair que rien ne peut avancer sérieusement dans ce secteur essentiel de la création (voir notre article).

Les autres secteurs sont régulés par le code du travail et des conventions collectives. Le secteur des arts visuels ne bénéficie d’aucune régulation adaptée, il n’existe ni convention collective pour les salariés des structures de diffusion d’arts visuels, ni barême de rémunérations minimales pour les artistes et les autres travailleurs indépendants du secteur, comme les commissaires d’exposition. C’est la loi de la jungle ! Les artistes sont évidemment les premiers à en pâtir. La plupart du temps, il n’y a même pas de contrats signés entre artistes et diffuseurs.

Le CNC (Centre National du Cinéma) et le CNV (Centre National de la Variété) conditionnent leur soutien financier au respect du droit du travail et de la réglementation sociale.
Le financement public des structures de diffusion d’arts visuels devrait être :
1/ à la hauteur de leurs missions (elles sont actuellement sous-financées)
2/ conditionné à des relations équitables avec les artistes (établir des contrats, ne pas faire travailler gratuitement les artistes, ni déroger à leurs droits d’auteur).

Il n’existe pas de « statut » de l’artiste mais un ensemble de dispositions légales. Les conditions d’exercice professionnelle des auteurs d’arts visuels sont dispersées au sein de divers codes (notamment le code de la propriété intellectuelle, le code général des impôts, le code de la sécurité sociale, le code des marchés publics, le code du travail, le code du patrimoine, etc…). A chacun de se débrouiller pour s’y retrouver.

Aujourd’hui comme hier, la méconnaissance de ces diverses dispositions légales est largement partagée par le gouvernement, par les élus, par les institutions publiques (pôle emploi, les CPAM, l’URSSAF, les centres des impôts, …), par les diffuseurs et par les artistes eux-mêmes.

Tous les champs de la création bénéficient d’un centre de ressource national sauf les arts visuels qui en sont dépourvus. En regard des conditions spécifiques d’exercice professionnel (plus complexes que celles d’un salarié), la création d’un centre de ressource national pour les arts visuels (Lieu d’information, d’accompagnement, d’échanges et de services pour les professionnels : artistes et diffuseurs) est demandé depuis très longtemps par l’ensemble des acteurs du secteur, en vain.

De nombreux amendements légaux sont nécessaires dans les divers codes qui concernent les artistes-auteurs, pour les actualiser, les mettre en cohérence, supprimer des aberrations et compléter les multiples manquements.

Toutes ces insuffisances concourent à une maltraitance économique et sociale des auteurs d’arts visuels avérée par les statistiques : aujourd’hui comme au XIXème siècle, la plupart des artistes ont des revenus inférieurs au seuil de pauvreté. Les mesures urgentes attendues et demandées depuis fort longtemps par les organisations professionnelles sont régulièrement repoussées ou occultées par les décideurs publics.

Quelques exemples à titre d’illustration :

S’agissant du Code de la Propriété Intellectuelle, les institutions publiques imposent en permanence aux artistes des cessions gratuites de leurs droits d’auteurs. En particulier elles n’appliquent pas le droit de présentation publique (voir notre article à ce sujet).

S’agissant du Code Général des Impôts, la définition d’une œuvre d’art originale fait sourire (jaune) tant elle est déconnectée de la réalité de l’art d’aujourd’hui. Il conviendrait également d’actualiser les nombres d’exemplaires mentionnés, par exemple il est parfaitement incohérent qu’une création plastique numérique soit limitée à 12 exemplaires alors qu’une œuvre photographique est limitée à 30 exemplaires.

S’agissant du Code de la Sécurité Sociale, les deux organismes sociaux (MDA-sécu et AGESSA) dysfonctionnent à plein tube, la réforme annoncée en février 2013 se fait attendre, aucune concertation n’a eu lieu depuis plus d’un an. Par exemple, le régime des artistes-auteurs faisant partie du régime général, il n’y a aucune raison pour qu’un artiste-auteur soit tenu de gagner 900 smic horaire pour valider 4 trimestres retraite alors que le régime général en demande 600. Cette mesure pourrait être prise immédiatement. (sur la réforme de la sécu voir nos articles à ce sujet avec le mot clé réforme AGESSA / MDA, par exemple le dernier publié).

S’agissant du Code des Marchés Publics, l’article 49 par son ambiguïté permet aux adjudicateurs peu scrupuleux de faire travailler gratuitement les artistes-auteurs, nombreux sont ceux par exemple qui demandent aux graphistes de créer des logos sans être payés ! Voir notre article.

Le Code du Patrimoine devrait garantir l’accès libre des auteurs d’arts visuel dans les musées (voir notre article), il devrait inclure les œuvres réalisées au titre du 1% artistique, pénaliser les maitres d’ouvrage publics qui ne respectent pas le 1%. Ce code pourrait aussi instaurer une taxe sur la billeterie des musées qui alimenterait un fond de soutien à la création contemporaine (en effet chacun sait qu’un artiste mort rapporte infiniment plus qu’un artiste vivant or aucune solidarité inter-générationnelle n’est organisée. Parallèlement le secteur reste obstinément sous financé par les pouvoirs publics).

Etc. Etc. Etc.

L’incurie des pouvoirs publics à l’égard des arts visuels étant d’une remarquable constance, la liste de problèmes à résoudre s’allonge chaque jour… L’oubli des arts visuels dans le projet de loi sur la création en est un symptôme criant.

En l’absence de concertation organisée par le ministère de la culture avec les professionnels du secteur (artistes-auteurs et diffuseurs), un groupe de travail ouvert initié par l’USOPAV (Union des Syndicats et Organisations Professionnelles des Arts visuels dont fait partie le CAAP) s’est constitué pour travailler sur des propositions d’amendements à la loi sur la création. Ces propositions seront largement communiquées dès que possible.

Si nous ne sommes pas entendus en amont par le gouvernement, il nous restera à espérer que les députés et les sénateurs, eux, auront à cœur de rectifier l’indigence coupable du projet actuel.