IRCEC-RAAP, RETRAITE COMPLEMENTAIRE DES ARTISTES AUTEURS (17) : LE PASSAGE EN FORCE DE LA RÉFORME HARA-KIRI

contre l’avis de la quasi-totalité des organisations professionnelles d’artistes-auteurs.

Suicidaire, bête et méchante, une réforme hara-kiri a été décrétée par le gouvernement pour la retraite complémentaire des artistes-auteurs.

1/ Le décret scandaleux publié au Journal officiel le 31 décembre 2015

Le ministère des affaires « sociales » a fait passer en force et en catimini le décret n°2015.1877 concernant la réforme du Régime des Artistes-Auteurs professionnels (RAAP).

Ce décret entérine - en l’empirant - le vote catastrophique du CA du RAAP en date du 24 septembre 2015 (voir les épisodes précédents.
Ces mesures - pour le moins regrettables et qui n’avaient aucun caractère d’urgence - prennent effet au 1er janvier 2016 et seront donc applicables en 2017voire en 2016 pour les précomptés notamment du RACD et RACL).

Le ministère des affaires sociales n’a pas jugé bon de répondre aux courriers qui lui ont été adressés suite au vote du RAAP par les organisations professionnelles d’artistes-auteurs (ni à celui du 26 septembre 2015 cf pdf1 , ni à celui du 16 octobre 2015 cf pdf2).
Signés d’une vingtaine d’organisations d’artistes-auteurs ces courriers mettent notamment l’accent sur la nécessité d’une réflexion et d’un approfondissement des contre-propositions à la réforme envisagée par le CA du RAAP.

Seules, l’Union des Photographes Professionnels (UPP) à laquelle appartient le président du RAAP (Frédéric Buxin) et l’Alliance Française des Designers (AFD) à laquelle appartient la trésorière du RAAP (Marie-Noëlle Bayard), ont soutenu mordicus cette réforme, ainsi qu’une société de perception et de répartition des droits : la SACD.

Les deux courriers des représentants des artistes-auteurs ont également été adressés au ministère de la culture. Le 7 octobre 2015, la Cheffe de Cabinet de la Ministre de la culture a répondu aux syndicats : « La ministre a pris connaissance de votre correspondance avec attention et m’a chargée de saisir les services concernés de la direction générale de la création artistique, afin que votre requête soit étudiée. Je ne manquerai pas de vous tenir informée des suites réservées à votre demande. » (cf pdf3). Aucune nouvelle depuis, ni du cabinet, ni de la DGCA …

Rappelons de plus que dans un courrier conjoint du 24 juillet 2015 adressé au Président du RAAP, Frédéric Buxin, les deux ministères avait conditionné les modalités de la réforme et son calendrier à « une large acceptabilité ». (Voir ce lien).

En promulguant ce décret en catimini et contre l’avis de la quasi-totalité des organisations professionnelles, le ministère des affaires sociales et le ministère de la culture ont trahi leur propre parole et les artistes-auteurs, ils n’ont nullement tenu compte des courriers sus-mentionnés attestant de la large inacceptabilité de la réforme telle que votée par le RAAP. Cette attitude méprisante des deux ministères est d’une grande violence à l’égard des artistes-auteurs et de leurs représentants.

2/ Fruit d’une réflexion et d’un travail collectifs approfondis, les préconisations des organisations syndicales n’ont pas été entendues, ni même écoutées un seul instant dans le cadre de la fausse « concertation » orchestrée par le RAAP

Comme nous n’avons cessé de le dire et de l’écrire, s’agissant du régime de retraite complémentaire des artistes-auteurs, il était bien évidemment impératif de tenir compte à la base de la spécificité des revenus des artistes-auteurs (précarité, variabilité, répartition) pour concevoir une réforme sans heurt, ni préjudice. Les artistes-auteurs, soucieux de leur retraite pour l’avenir et de leur survie dans le présent, veulent pouvoir cotiser plus les bonnes années et moins les mauvaises années. Ce souhait partagé relève du simple bon sens. Cela implique des taux progressifs selon le revenu (de 4 à 12% par exemple) et non un taux unique à 8%. Le régime général lui-même prévoit - en toute logique - des taux par tranches de revenus. De plus, les autres régimes de travailleurs indépendants (avocats, notaires, pharmaciens) invités à modifier leurs dispositions optionnelles de retraite complémentaire ont tous adopté une période transitoire de 15 ans, pendant laquelle les options disparaissent progressivement.

Une réforme pertinente et intelligente était donc parfaitement possible, encore aurait-il fallu un minimum de bonne volonté et de bonne foi ainsi qu’une réelle concertation. Les deux ont fait défaut, tant de la part du CA du RAAP que de celle des ministères qui portent au final la pleine responsabilité de cette modification réglementaire dramatique. Les neurones n’ont pas été au rendez-vous non plus. Car cette réforme est non seulement brutale et dangereuse mais également très bête. « Tuer la poule pour avoir l’œuf » est une aberration évidente. Or tel est le choix autoritaire du CA du RAAP et des ministères contre l’intérêt général des concernés.

3/ De la différence entre le vote initial du CA du RAAP en 2013 et celui de 2015 : des « concessions » qui oscillent entre vaseline et attrape-nigaud.

En 2013 (voir ce lien) le RAAP avait décrété un taux unique de 8% applicable au 1er janvier 2016 (avec un « aménagement » à 4% pour les cotisants au RACD et RACL). « Le conseil d’administration du RAAP a adopté à l’unanimité un nouveau mode de cotisation, qui sera mis en application le 1er janvier 2016. Le principe en est simple : une cotisation proportionnelle à vos revenus d’auteur. 8% de nos revenus de l’année précédente, tel est le montant de cotisation que nous payerons à partir de l’année 2016…  » annonçait le courrier du 5 mai 2014 envoyé aux artistes-auteurs par le président du RAAP.

En 2015, le système final décrété est foncièrement identique au vote de 2013 : un taux plein uniforme (de 8%) avec un demi-taux (à 4%) pour les cotisants au RACD et RACL.

De plus, le décret prévoit la possibilité pour le conseil d’administration du RAAP de modifier dès 2018 « les paramètres techniques du régime, s’agissant notamment du taux mentionné au II du même article 2, permettant de garantir l’équilibre financier à long terme et l’équité intergénérationnelle du régime. ». De façon générale, il est décrété que « Le taux de cotisation est fixé chaque année par décret, sur proposition du conseil d’administration. ». Le taux de 8% pourra donc rapidement être modifié par le CA du RAAP comme et quand bon lui semblera. Très rassurant pour les cotisants qu’il n’a jamais su comprendre, entendre ni écouter…

  • Reculer pour mieux saigner

Le décret repousse à 2017 (au lieu de 2016) l’application effective de la réforme et introduit trois périodes transitoires.

Une période transitoire de 3 ans avant d’atteindre en 2019 le taux unique de 8% (5 % sur les revenus perçus au titre de l’exercice 2016 ; 6 % sur les revenus perçus au titre de l’exercice 2017 ; 7 % sur les revenus perçus au titre de l’exercice 2018 ; 8 % sur les revenus perçus au titre de l’exercice 2019). Toutefois « l’assujetti peut opter pour l’application immédiate d’un taux de 8 % »…

Une période transitoire de 10 ans (jusqu’à 2025) pendant laquelle les artistes-auteurs ayant des revenus inférieurs à 3 fois le seuil d’affiliation au régime (soit un revenu annuel inférieur à 2 700 fois le taux horaire brut du SMIC qui est de 9,67€ pour 2016, soit environ 26000€/an) peuvent par dérogation demander l’application d’un taux à 4%.

Une période transitoire de 12 ans (jusqu’à 2027) pendant laquelle les artistes-auteurs « pour lesquels l’entrée en vigueur des dispositions du présent décret a pour conséquence une diminution du montant de leur cotisation » pourront continuer à cotiser dans leur dernière classe de cotisation (ancien système). Cette disposition était déjà envisagée en 2013 pour les gros cotisants.

Ces périodes transitoires repoussent plus ou moins les effets désastreux de la réforme hara-kiri mais ne changent rien à son résultat final, ni à son principe de base : un taux unique à 8%. Ces modalités de réforme contrairement aux affirmations du RAAP ne sont pas une « alternative » sérieuse aux taux par tranches de revenu mais une « usine à gaz » qui tient essentiellement lieu de leurre.

  • Décryptage : manipulation et attrape-nigaud

Le CA du RAAP et de l’IRCEC a fait croire et voté que le mi-taux (4%) - sous condition de revenu inférieur à un certain seuil - serait applicable sans limitation dans le temps. « Ce taux réduit sera appliqué sur simple demande des adhérents. ». Pour se couvrir d’avance le site de l‘IRCEC a pris soin de noter le 24 septembre 2015 : « Mise en garde : Tous les éléments présentés et développés ci-dessous doivent faire l’objet d’une validation par des textes réglementaires (décrets et arrêtés) pour être applicables. » (lien).

En effet, comme nous, le RAAP savait pertinemment qu’introduire un taux optionnel pérenne ne serait pas entériné par la Direction de la sécurité sociale.

Nous avions clairement soulevé ce point dans notre courrier du 26 septembre aux ministères : « L’introduction d’une option à un taux réduit de 4% pour les artistes-auteurs ayant un revenu inférieur à un certain seuil est annoncée par le RAAP sur son site sans que soit précisée la durée de la période transitoire pendant laquelle l’option serait permise, ce qui peut laisser sous-entendre que cette option entre plusieurs taux serait permanente. Or, la suppression de tout caractère optionnel a été présentée par votre ministère comme une obligation juridique impérative et la cause même de la nécessité de réformer notre régime de retraite complémentaire en regard de la législation européenne. ». A la question très clairement posée par l’intersyndicale : « Cette option est-elle provisoire ou pérenne ? », les ministères se sont bien gardé de répondre. Chacun comprend aujourd’hui les raisons de ce scénario concocté en deux temps (le RAAP agite un leurre puis la DSS rectifie), cette mise en scène visait avant tout à désolidariser les organisations professionnelles opposées à cette réforme, et plus particulièrement à piéger les partisans d’un taux unique à 4% et à écarter sans examen la proposition intersyndicale.

  • La communication constamment mensongère de l’IRCEC-RAAP.

Ainsi en date du 7 janvier 2015 (lien), le site affirme « La quasi-totalité des principes de la réforme tels que contenus dans le décret correspondent à ceux qui ont été définis à l’issue des concertations avec les organisations professionnelles et syndicats d’auteurs [sans tenir compte de leur avis et préconisations] et approuvées par le Conseil d’administration de l’IRCEC du 24 septembre 2015. »

Le principe alternatif des taux progressifs (par tranches de revenus) préconisé par l’intersyndicale a tout simplement été écarté unilatéralement par le CA du RAAP. De même, une période transitoire (unique) d’une durée de 15 ans comme dans les autres régimes n’a nullement été envisagée. Ainsi les principes de la réforme tels que contenus dans le décret correspondent aux choix unilatéraux et autoritaires du CA du RAAP.

Sans vergogne, l’IRCEC ose ajouter « le texte publié vendredi intègre la solution de compromis qui s’était imposée au fil des rencontres avec les organisations professionnelles et sociétés d’auteurs…  ». En fait comme nous le précisions déjà dans notre courrier du 26 septembre 2015 : « Les « aménagements » à la marge proposés par le RAAP ne sont pas le fruit d’un « compromis » mais le résultat d’une manipulation éhontée et d’un manque de réflexion. »

Sur l’entourloupe du 4%, l’IRCEC se surpasse en rhétorique fumeuse : « Ce taux réduit sera appliqué sur simple demande des adhérents. Interpellée sur l’impossibilité de mesurer aujourd’hui les revenus des auteurs et leurs comportements de demain, la Direction de la Sécurité sociale, auteur du décret, a limité dans un premier temps cette possibilité aux dix prochaines années (de 2016 à 2025) et prévoit qu’un point d’étape soit mené en 2018 afin de vérifier la soutenabilité de cette mesure par le régime. ». L’IRCEC-RAAP dont la trahison est désormais évidente pour tous, tente ici de faire croire que la période transitoire de 10 ans pourrait devenir éternelle : « L’idée n’est pas de remettre en cause cette possibilité au bout de 10 ans mais bien d’en évaluer les conséquences sur l’équilibre du régime des artistes-auteurs professionnels.  ».

Or ce qui est annoncé ici en réalité, c’est que dès 2018, le paragraphe du décret concernant la cotisation dérogatoire et provisoire à 4% pourra être supprimé ou modifié en aggravant le taux s’il est estimé que le maintien de cette « mesure » n’est pas « soutenable par le régime ». Autrement dit si l’IRCEC-RAAP estime que la réforme ne rapporte pas assez et assez vite, elle remettra en cause le 4% avant même la fin des 10 ans en accord avec la DSS. En revanche, si le 4% est estimé « soutenable », il sera néanmoins supprimé car le caractère optionnel relève d’une insécurité juridique.
Le scénario manipulatoire s’avère être donc probablement en 3 phases :
A/ l’annonce raapienne d’une option pérenne à 4% (septembre 2015).
B/ la limitation de l’option à 10 ans par la DSS (décembre 2015).
C/ la suppression de l’option ou la majoration du taux, possible à tout moment à partir de 2018 !

4/ Merci qui ?

Merci l’IRCEC et le RAAP pour avoir concocté cette réforme hara-kiri,
merci les Ministères et le gouvernement pour l’avoir entérinée,
merci la SACD pour avoir tout fait pour l’accélérer,
merci l’UPP et l’AFD pour avoir trahi l’ensemble des auteurs d’arts visuels.

Documents à télécharger

pdf1_lettre_mas_mcc_-_raap_26_sept_2015
pdf2_lettre_mas_mcc_-_raap_16_oct_2015