1/ Une jurisprudence au bénéfice des artistes-auteurs et autrices
Conclure des contrats de cession de propriété intellectuelle à titre gratuit expose désormais les contractants à une annulation. Pour éviter la nullité, il faut prévoir une contrepartie financière à la cession de droits, ou, si la cession est à titre gratuit, la formaliser devant un notaire. Ce qui implique des coûts relatifs à l’acte notarié et le paiement de droits de mutation… Ces coûts doivent évidemment être à la charge de l’exploitant bénéficiaire, non de l’artiste-auteur. Voir notre article « Les cessions gratuites de droits de propriété intellectuelle doivent-elles être passées devant notaire ? ».
Il convient de tirer parti de cette tendance jurisprudentielle réitérée qui conjugue droit de propriété intellectuelle et droit civil et qui apparaît comme une solution susceptible d’endiguer les pratiques abusives des utilisateurs des œuvres qui veulent imposer aux artistes-auteurs et autrices des cessions gratuites de droits d’auteur « à l’insu de leur plein gré ».
En effet, le non-respect de ce formalisme peut entraîner la nullité de la cession de droits et la perte des droits d’exploitation pour le cessionnaire. La nullité de la cession permet à l’artiste-auteur d’agir contre l’exploitant en contrefaçon sur le fondement des droits recouvrés.
Remarque : Les actes passés peuvent être régularisés pour endiguer le risque de nullité. Il est possible de régulariser les cessions gratuites déjà effectuées en signant à nouveau l’acte litigieux devant notaire ou en concluant un nouveau contrat avec une contrepartie financière conforme aux usages de la profession.
Cession de droits de propriété intellectuelle : si c’est gratuit, c’est notarié ! Sinon c’est payant.
• Rappels :
L’article 1107 du code civil précise :
« Le contrat est à titre onéreux lorsque chacune des parties reçoit de l’autre un avantage en contrepartie de celui qu’elle procure.
Il est à titre gratuit lorsque l’une des parties procure à l’autre un avantage sans attendre ni recevoir de contrepartie. »
L’article 1128 du code civil précise :
« Sont nécessaires à la validité d’un contrat :
1° Le consentement des parties ;
2° Leur capacité de contracter ;
3° Un contenu licite et certain. »
• Conseils pratiques aux artistes-auteurs et autrices
Dès lors que vous n’avez pas la volonté libre et éclairée de vous dépouiller gratuitement de vos droits d’auteur au profit du cessionnaire (c’est-à-dire le diffuseur ou exploitant de vos œuvres), l’absence de contrepartie ou l’existence d’un vice du consentement entraîne la nullité de la cession si le contrat n’est pas passé devant notaire.
➡️ Si le bénéficiaire d’une cession de droits entend vous imposer une cession gratuite informez-le que la jurisprudence impose désormais qu’une cession de droits de propriété intellectuelle à titre gratuit s’analyse juridiquement comme une donation et que le contrat de cession doit être passé devant un notaire aux frais du bénéficiaire, sous peine de nullité. Un tel coût pouvant s’avérer supérieur au versement des redevances de droits d’auteur, suggérez-lui de renoncer à la cession gratuite au profit d’une cession à titre onéreux conforme aux usages de la profession (éventuellement précisez-lui un montant).
NB : les organismes de gestion collective mettent en ligne des barèmes de redevances de droits d’auteurs qui peuvent servir de référence. Par exemple : SAIF, ADAGP, SACEM, etc.
De fait, ces montants étant modestes, vouloir s’en exonérer via des cessions gratuites sous couvert pour l’exploitant d’alléger ses charges constitue un préjudice économique au détriment de l’artiste-auteur ou autrice qui ne peut, ni ne doit, être imposé par le bénéficiaire de la cession. Faute de contrepartie financière, l’artiste-auteur ou autrice peut saisir un tribunal pour demander la nullité de la cession et attaquer l’exploitant pour contrefaçon (utilisation illicite des œuvres). Cette insécurité juridique devrait décourager les cessions abusives à titre gratuit.
➡️ Si vous consentez réellement à la cession gratuite de vos droits d’auteur, que votre dépouillement est conscient et voulu, que vous voulez effectivement procurer un avantage sans contrepartie au profit du bénéficiaire, explicitez votre intention libérale dans le contrat de cession et demandez à l’utilisateur de vos œuvres de prendre en charge les frais de notaire pour cette donation.
• Le cas particulier des utilisations d’œuvres sous « licence libre » (Creative commons, etc.)
L’article L.122-7-1 du code de la propriété intellectuelle qui stipule « L’auteur est libre de mettre ses œuvres gratuitement à la disposition du public […] » a été adopté en 2006 par la loi dite « DADVSI » pour répondre au souci de reconnaître la licéité du mouvement dit du « libre ». Cette disposition reconnaît notamment à tout artiste-auteur la faculté de mettre gracieusement ses œuvres en ligne s’il le souhaite.
Un artiste-auteur peut aussi décider de placer une œuvre sous « licence libre ». Les licences libres organisent certains usages de l’œuvre ainsi mise à disposition et ce, à l’initiative de l’artiste-auteur lui-même. La volonté de l’artiste-auteur est explicite et explicitée.
Lorsque l’utilisation d’une œuvre est placée sous « licence libre », à condition d’en respecter les termes, toute personne peut utiliser l’œuvre sans avoir à solliciter une autorisation auprès de l’auteur ou l’ayant-droit. Une œuvre sous licence libre ne nécessite donc pas de contrat de cession de droits, par conséquent elle n’est pas concernée par le formalisme des contrats de cession.
Lorsqu’une œuvre est sous licence libre, l’auteur n’abandonne pas ses droits à proprement parler : il donne une autorisation générale au public pour certaines utilisations qui sont toujours explicitement précisées. Une œuvre sous licence libre n’appartient pas au public, elle reste dans le patrimoine de l’auteur. Il n’y a ni cession au sens du code la propriété intellectuelle, ni donation au sens du code civil.
2/ Des formes de contestations passéistes en soutien aux abus de faiblesse dont pâtissent les artistes-auteurs
En regard de cette jurisprudence qui bénéficie aux artistes-auteurs, certains juristes, plus proches des exploitants des œuvres que des créateurs, suggèrent de contourner ce formalisme renforcé des cessions de droits de propriété intellectuelle à titre gratuit, en mentionnant dans le contrat de cession des contreparties non financières ou indirectes et en précisant que la cession n’emporte aucune « intention libérale » (i. e. la volonté libre et éclairée de faire une donation), le tout précisément dans l’objectif d’éviter la requalification en donation des cessions gratuites.
Ces détournements sont contestables et surtout bien connus des artistes-auteurs à leur détriment récurrent. Notamment dans les arts visuels (arts plastiques, graphiques, photographiques, design), la « visibilité » avec son leitmotiv « ça te fera de la pub ! » est régulièrement présentée par des diffuseurs comme la contrepartie d’une cession gratuite.
Cette contrepartie « symbolique » qui prendrait sa source dans la reconnaissance et la notoriété à venir du fait de l’exploitation de l’œuvre vient en contradiction de l’actuel courant jurisprudentiel qui ne reconnaît pas les contreparties « symboliques » et exige une rémunération financière en échange d’une cession de droit, à défaut, le régime de la donation est applicable.
En effet, si la promotion ou la diffusion d’une œuvre pouvait être considérée comme une contrepartie nécessaire et suffisante à une cession gratuite de droits d’auteur, il en résulterait que toute diffusion ou exploitation d’œuvres pourrait, voire devrait, être gratuite ! Cela constituerait in fine une négation pure et simple du droit d’auteur lui-même.
Or, sous couvert d’une promotion de l’artiste-auteur ou de ses œuvres, nombre d’opérateurs économiques imposent, aujourd’hui comme hier, des cessions de droits gratuites, notamment aux auteurs des arts visuels.
Un auteur peut aisément se laisser imposer un contrat de cession de droits à titre gratuit sous peine de ne pas être diffusé. En effet le « choix » souvent laissé aux auteurs des arts visuels se situe entre « ne pas être rémunéré » ou « ne pas être diffusé ». Dans ce dilemme, le consentement de l’artiste-auteur n’est ni « libre », ni « éclairé ». Ce « choix » est en réalité une forme de chantage auquel l’artiste-auteur peut difficilement se soustraire. Aucun artiste-auteur n’aspire à être dépouillé économiquement de ses droits d’auteurs au profit de diffuseurs indélicats, c’est pourtant trop souvent la situation imposée à de nombreux auteurs.
Dans la pratique, une cession de droits d’auteur ne devrait plus pouvoir être exigée par un diffuseur sans contrepartie financière.
Il serait paradoxal que le code civil dispose à son article 1169 qu’un contrat « à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire » mais qu’il reste possible de conclure des contrats à titre gratuit en matière de cession de droits d’auteur dont la « contrepartie » serait « illusoire ou dérisoire » sans qu’elle soit systématiquement requalifiée en donation.
La tendance jurisprudentielle actuelle, à bon droit, tend à protéger tout artiste-auteur contre les cessions à titre gratuit qui, loin d’être librement consenties, sont abusivement imposées par certains diffuseurs dans le cadre d’un rapport inégal entre les parties.
Une cession à titre gratuit doit nécessairement être un acte libre et volontaire, à l’initiative exclusive de l’artiste-auteur ; et non, une cession gratuite forcée, ni exigée unilatéralement par le bénéficiaire de la cession, par contrat ou par règlement (par exemple dans le cadre de concours ou d’appels d’offres).