1/ Les cessions de droits d’auteur répondent à formalisme impératif sous peine de nullité
Les droits d’exploitation doivent être respectés durant toute la vie de l’artiste-auteur ainsi que pendant 70 ans après sa mort (durée légale de protection des droits d’auteur). À la fin de cette période l’œuvre entre dans le domaine public.
Dès lors que l’œuvre n’est pas entrée dans le domaine public, l’autorisation du titulaire de droits d’auteur est impérative, sauf si l’utilisation de l’œuvre envisagée bénéficie d’une exception aux droits d’auteur prévue par le code de la propriété intellectuelle (voir article L122-5, et articles L122-5-1 à L122-5-5) ou si cette utilisation est explicitement autorisée par une licence libre (Creative commons, etc.).
L’autorisation du titulaire, l’auteur ou ses ayants-droits, se concrétise par un contrat de cession de droit d’auteur qui répond à un formalisme impératif.
L’article L131-2 du code de la propriété intellectuelle précise : « Les contrats par lesquels sont transmis des droits d’auteur doivent être constatés par écrit. »
L’article L131-3 du code de la propriété intellectuelle précise également : « La transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée. » Ce formalisme s’impose aux contrats de cession, tant à titre onéreux qu’à titre gratuit.
Toute exploitation des œuvres qui sort de ce cadre formel est considérée comme une contrefaçon. La cession de droits d’auteur ne doit être ni générale, ni imprécise.
Seuls les droits patrimoniaux peuvent faire l’objet d’une cession de droits d’auteur. Le droit moral est « perpétuel, inaliénable et imprescriptible », il ne peut pas être cédé.
Un contrat de cession de droits d’auteur doit être rédigé par écrit et doit énumérer précisément et limitativement les droits cédés. La cession n’est pas valable si l’étendue des droits cédés est floue.
Le contrat de cession doit comporter les mentions suivantes :
• Identité des parties : noms et prénoms de l’auteur de l’œuvre et du bénéficiaire de la cession (le « cessionnaire ») ;
• Description exacte des œuvres concernées : titre, nature de l’œuvre, etc. ;
Description des droits patrimoniaux cédés :
• Étendue des droits cédés : le contrat précise distinctement et exhaustivement chaque droit d’exploitation cédé (droit de reproduction, droit de représentation...) ;
• Modes d’exploitation des droits cédés : le contrat mentionne précisément toutes les utilisations prévues de l’œuvre (les moyens de diffusion de l’œuvre, sous quelle forme, quel support, quel procédé…) ;
• Destination : le contrat mentionne ce pourquoi les droits sont cédés (par exemple à des fins commerciales ou non) ;
• Territoire : le contrat précise le périmètre géographique sur lequel l’exploitation est autorisée. Les droits peuvent être cédés pour une région particulière, un pays, voire « pour le monde entier » (notamment si l’œuvre fait l’objet d’une diffusion sur internet) ;
• Durée : le contrat précise la durée pendant laquelle l’exploitation est autorisée ;
• Rémunération et modalités de paiement : Par principe, la cession « doit comporter au profit de l’auteur une rémunération appropriée et proportionnelle aux recettes provenant de la vente ou de l’exploitation ». Il peut également dans certains cas être évalué forfaitairement (article L131-4 du CPI).
Remarque : Le fait d’inscrire la mention « etc. » dans le contrat de cession est critiquable et peut conduire à considérer que la délimitation du domaine d’exploitation des droits cédés est insuffisante, avec un risque d’annulation du contrat.
Il convient, le cas échéant, de préciser si ces droits sont cédés à titre exclusif. Si le contrat est assorti d’une clause d’exclusivité, l’auteur ne pourra consentir aucune autre cession de ses droits pendant toute la durée de l’exclusivité. Dans ce cas, il convient de négocier une prime d’exclusivité.
A titre d’exemple, la Cour d’appel de Paris, approuvée par la Cour de cassation a annulé une « cession de droits d’auteur » consentie par Pablo Picasso au profit des éditions du Cercle d’art. La cour d’appel retient qu’en violation des dispositions impératives de l’article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle, cet acte ne stipulait aucune clause quant à l’étendue et quant à la durée de la cession. En effet, le peintre avait rédigé un document stipulant simplement : « Je soussigné, Pablo Picasso […], déclare léguer mes droits aux éditions du Cercle d’art […] pour la reproduction des dessins de l’ouvrage Toros. » (Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 23 janvier 2001, 98-19.990).
2/ Les cessions de droits gratuites en tant que donations doivent être passées devant notaire
De nombreux artistes-auteurs et autrices se voient imposés des cessions de droits d’auteur gratuites, notamment dans les arts visuels (art plastiques, photographie, graphisme, design). Aujourd’hui cette pratique abusive peut être condamnée en justice.
En France, les droits de propriété intellectuelle sont cédés par contrat en bonne et due forme, qu’il s’agisse d’une cession rémunérée ou gratuite. Pour les droits d’auteurs patrimoniaux, l’article L.122-7 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) dispose que : « le droit de représentation et le droit de reproduction sont cessibles à titre gratuit ou à titre onéreux. » Mais il existe un risque sérieux concernant les cessions à titre gratuit qui, si elles ne sont pas passées devant un notaire, peuvent encourir la nullité en justice.
Une jurisprudence récente tend à requalifier systématiquement en donation les cessions de droits de propriété incorporels sans contrepartie financière et à les sanctionner par la nullité si elles n’ont pas été passées devant notaire.
Le raisonnement est le suivant :
- Conformément à l’article 894 du code civil : « La donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l’accepte » ;
- Conformément à l’article 931 du code civil : « Tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaires dans la forme ordinaire des contrats ; et il en restera minute, sous peine de nullité » ;
- Ces dispositions sont d’ordre public, le Code de la propriété intellectuelle ne déroge pas aux conditions formelles des donations ;
- La cession gratuite sans contrepartie pour le cédant emporte un transfert de la propriété intellectuelle au profit de l’exploitant qui s’analyse comme une donation portant sur des droits incorporels ;
- L’acte est nul dès lors qu’il est conclu sous seing privé et non devant notaire :
- Dès lors que le contrat de cession de droits est annulé, l’exploitation de l’œuvre concernée est illicite.
Cette approche n’est pas nouvelle : par exemple, en 1987, la Cour d’appel de Versailles raisonne de la même façon en jugeant qu’en l’absence de contrepartie financière, la renonciation au versement de redevances de droits d’auteur au profit d’une société de production s’analyse juridiquement comme une donation. Cet « acte sous seing privé constitue une libéralité pure et simple, nulle faute de forme authentique ». Il s’agissait de la « renonciation » par François Truffaut de ses droits d’auteur sur le scénario « A bout de souffle » au bénéfice du producteur. La Cour a jugé que cette renonciation, ayant été faite sans contrepartie financière, aurait dû être notariée (CA Versailles, 20 janvier 1987, RG n° 6143/83).
Aujourd’hui cette tendance jurisprudentielle, conjuguant droit de propriété intellectuelle et droit commun français, se confirme. Cette approche est devenue récurrente, tant pour le droit d’auteur que pour le droit des marques.
Concernant les cessions de droits de propriété intellectuelle à titre gratuit, une ordonnance du juge des référés du Tribunal judiciaire de Paris du 12 avril 2023, suivie d’un jugement au fond rendu dans le même sens le 6 juillet 2023, a jugé que : « Le contrat […] emporte explicitement cession " gratuite " de droits d’auteur. Il s’agit donc par définition d’une donation, non dissimulée, et portant sur des droits incorporels, comme tels insusceptibles de remise physique ». L’acte devait donc être passé devant notaire alors qu’il a été conclu sous seing privé. Il s’agissait d’un ancien militaire qui avait cédé par contrat, à titre gratuit et exclusif, à une association, l’intégralité de ses droits d’auteur sur son témoignage autobiographique intitulé « Zov ». Cette association a, elle-même, ultérieurement, conclu un contrat d’édition avec Albin Michel pour une publication sous forme imprimée et digitale de cette œuvre. L’auteur a ensuite agi en nullité du contrat de cession de droits conclu avec l’association et obtenu gain de cause : Le Tribunal prononce la nullité du contrat de cession de droits (Tribunal judiciaire de Paris, service des référés, 12 avril 2023, 23/50949, Tribunal judiciaire de Paris 6 juillet 2023, 23/02616).
En septembre 2024, le Tribunal judiciaire de Paris a condamné un média en ligne (Blast) en rappelant deux principes : d’une part, une cession de droits d’auteur doit obligatoirement faire l’objet d’un contrat de cession en bonne et due forme ; d’autre part, « Les cessions de droit à titre gratuit doivent suivre le formalisme édicté par l’article 931 du code civil pour les donations », ce qui signifie que les contrats de cession de droit d’auteur à titre gratuit doivent être passés devant notaire. Il s’agissait de deux auteurs de marionnettes ayant attaqué Blast en contrefaçon de leurs droits d’auteur pour une émission satirique : « Les marioles », mettant en scène des personnalités célèbres sous forme de marionnettes. Le média se défendait en affirmant bénéficier d’une cession à titre gratuit (Tribunal judiciaire de Paris - Service des référés - 11 septembre 2024 - n° 24/50726).
Le Tribunal judiciaire de Lyon dans une décision du 9 avril 2024 en matière de droit des marques a également pris une décision dans le prolongement de ce courant jurisprudentiel relatif aux cessions de droits de propriété intellectuelle (Tribunal judiciaire de Lyon, 9 avril 2024, RG N° 20/05900).
En février 2022, le Tribunal Judiciaire de Paris avait déjà jugé qu’était nul le contrat emportant transfert de propriété d’une marque et de dessins et modèles consenti à titre gratuit à défaut d’être passé devant notaire. Cette décision a été confirmée en appel par le jugement du 13 mars 2024 : « aucune stipulation du contrat ne permet de conclure qu’il ne s’agirait pas d’une véritable donation, marquée par l’intention purement libérale des parties, aucune contrepartie n’étant clairement évoquée à la charge du cessionnaire » (Tribunal judiciaire de Paris, 8 février 2022, N° 19/14142 ; Cour d’appel de Paris, 13 mars 2024, RG n° 22/05440).
La cession gratuite des droits d’auteur : un formalisme renforcé par la jurisprudence actuelle
La jurisprudence apparaît désormais bien fixée.
Conclure des contrats de cession de propriété intellectuelle à titre gratuit expose désormais les contractants à une annulation. Pour éviter la nullité, il faut prévoir une contrepartie financière à la cession de droits, ou, si la cession est à titre gratuit, la formaliser devant un notaire. Ce qui implique des coûts relatifs à l’acte notarié et le paiement de droits de mutation… Ces coûts doivent évidemment être à la charge de l’exploitant bénéficiaire, non de l’auteur. |
NB : Il n’est pas possible de contourner les dispositions formelles relatives à une donation par le versement d’un montant symbolique, le risque de nullité de l’acte demeure en application de l’article 1169 du Code civil qui prévoit que : « un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire ». L’acte pourrait aussi être requalifié en donation indirecte ou déguisée, dans tous les cas, il n’échapperait pas à la nullité devant un tribunal.
Le caractère ambigu d’une clause de cession gratuite s’interprète en faveur du cédant (l’auteur) et emporte la nullité de la cession. Par exemple, un contrat d’édition a été annulé en raison d’une clause jugée ambiguë car elle prévoyait « le versement à l’auteur, pour chaque exemplaire vendu, d’une rémunération assise sur le prix de vente hors TVA de 0 % sur le premier mille, 7 % sur les deux mille suivants et 10 % à partir de quatre mille » (CA Paris, 10 décembre 2004).
Quelles conséquences pratiques de cette jurisprudence pour les artistes-auteurs et autrices ? Voir notre article « Le renforcement du formalisme des cessions gratuites de droits d’auteur au bénéfice des artistes-auteurs et autrices ».