1/ Contexte
Depuis sa création dans les années soixante-dix, l’AGESSA n’a jamais respecté le code de la sécurité sociale.
Les pratiques illégales de l’AGESSA sont connues depuis toujours des ministères de tutelle en charge du contrôle de légalité. Notamment l’AGESSA n’appelait pas la cotisation vieillesse à 95 % de ses ressortissants, sous couvert qu’à l’AGESSA « l’affiliation est un acte volontaire ».
Cette affirmation illicite, supposée dédouaner l’AGESSA, était régulièrement répétée à satiété par son directeur, au grand préjudice des artistes-auteurs et autrices de l’AGESSA qui ont découvert à leur retraite… qu’ils n’en avaient pas.
Ce problème avait notamment été pointé par plusieurs rapports communs de l’inspection générale des affaires sociales et de l’inspection générale des affaires culturelles.
« Ce défaut de prélèvement qui s’expliquerait par les limites du système informatique illustre une grave défaillance de pilotage interne et de contrôle externe. Les conséquences sociales en sont dramatiques puisque les artistes-auteurs concernés qui, de bonne foi, pouvaient légitimement aspirer à percevoir une pension de retraite à proportion des cotisations qu’ils pensaient avoir versées se trouvent privés de droits correspondants. » précise Bruno Racine, conseiller maître à la Cour des comptes, dans son rapport de 2020.
Les ministères de tutelle ont laissé faire la direction de l’AGESSA pendant plus de 40 ans.
2/ Historique
Monsieur Thierry Dumas était directeur de l’AGESSA depuis plusieurs décennies.
— En 2011, les ministères de tutelles ont choisi de nommer Monsieur Thierry Dumas pour assurer une direction commune de l’AGESSA et de la MDA, suite au départ en retraite de la directrice de la MDA. Ci-dessous la lettre de mission en date du 31 mars 2011 envoyée à Monsieur Dumas par les ministères de tutelles.
— En 2014, faute d’organisation des élections prévues par les textes, il n’y a plus de CA ni à la MDA, ni à l’AGESSA. La direction commune n’est donc plus contrôlée par les CA. Le directeur est inchangé.
— En 2018, lors de la réforme du régime social, instaurant le transfert de la collecte des cotisations à l’Urssaf Limousin, les ministères de tutelles ont laissé en place le directeur commun MDA-AGESSA et l’ont laissé décider seul du sort des salariés de la MDA et de l’AGESSA dont seulement 20 % pouvaient rester en poste.
— En 2021, suite à une procédure du CAAP, le Conseil d’État condamne le ministère de la Culture pour excès de pouvoir. Les ministères ne pourront pas, comme ils l’avaient initialement prévu, désigner illégalement des organismes de gestion collective (OGC) dans le Conseil d’administration de la sécurité sociale des artistes-auteurs.
Cette même année, l’AGESSA change de nom pour s’appeler « Sécurité sociale des artistes-auteurs » (SSAA). Le directeur est inchangé.
— En 2022, les ministères de tutelle retirent l’agrément à la MDA et agréent comme organisme unique l’AGESSA alias la SSAA et ils fixent par arrêté la composition du CA unique de la SSAA. Le directeur est inchangé.
— En 2023, le directeur est présent dans les réunions du CA de la SSAA jusqu’à la séance du 14 décembre 2023 qui dénote un conflit de pouvoir entre direction, présidence et tutelles.
— En 2024, le directeur n’assiste plus aux séances du CA.
Le 4 juin 2024, un arrêté des ministères de tutelle annonce qu’il est « mis fin aux fonctions de directeur de l’organisme agréé prévu à l’article L. 382-2 du code de la sécurité sociale exercées par M. Thierry Dumas, à compter du 7 juin 2024. »
3/ Commentaires
Dans un État de droit digne de ce nom, les ministères de tutelle auraient dû relever de ses fonctions le directeur de l’AGESSA, Monsieur Dumas, et désigner une nouvelle personne ayant pour mission de commencer à mettre bon ordre aux pratiques illicites de l’AGESSA. Ils pouvaient le faire soit en application de l’article R382-14 du code de la sécurité sociale qui prévoit de démettre la direction « en cas d’irrégularité grave » ou « de mauvaise gestion » ;
soit à l’occasion de la mise en place de la direction commune AGESSA-MDA décidée par le gouvernement en 2011.
Au lieu de cela, les ministères de tutelles – en charge du contrôle de légalité – ont jugé bon de nommer dans les deux organismes, un directeur qui ne respectait pas la loi…
NB : Le directeur agissait avec l’accord des tutelles qui n’ignoraient rien des irrégularités graves de l’AGESSA. La « grave défaillance de pilotage interne et de contrôle externe » pointé par le rapport Racine, relève en clair d’une complicité entre tutelles et direction, auquel s’ajoute la passivité fautive du CA de l’AGESSA.
En 2014, une « erreur » des ministères de tutelles, suivie d’une longue impéritie gouvernementale, entraîne une carence illicite des deux conseils d’administration, AGESSA et MDA, jusqu’en 2022.
Sachant que la réforme de 2018 visait notamment à remédier aux graves irrégularités de l’AGESSA, les ministères de tutelle auraient dû, là encore, saisir l’occasion de nommer une nouvelle direction… Mais il n’en est rien. Les pratiques illégales de l’AGESSA se poursuivent sans entrave jusqu’au transfert effectif de la collecte à l’Urssaf Limousin en 2019-2020.
En 2022, au lieu d’agréer comme prévu une nouvelle entité ad hoc, les ministères de tutelle choisissent d’agréer comme seul organisme de sécurité sociale, celui qui n’a jamais respecté la loi : l’AGESSA sous son nouveau nom SSAA.
Au final, de 2014 à 2022, totalement débarrassé du contrôle des CA et sous l’œil lointain des tutelles, le directeur est laissé « seul maître à bord » pendant huit ans...
C’est dans ce contexte que le CA de la SSAA (ex AGESSA) est reconstitué en 2023 toujours avec le même directeur, qui aurait dû depuis longtemps être démis de ses fonctions par le gouvernement.
Il serait naïf de croire que le conflit avec le président qui apparaît au CA de décembre 2023 expliquerait le limogeage du directeur en juin 2024. Au-delà des noms d’oiseaux échangés entre le directeur et le président lors de cette réunion de CA et leur vexation personnelle respective, on constate que le président et le bureau reprochent au directeur de se positionner « en simple exécutant » du CA et ne pas être suffisamment aux ordres des ministères de tutelle en amont des délibérations du CA.
Il est pourtant conforme au code de la sécurité sociale que le directeur exécute les décisions du CA, sauf opposition en aval des ministères de tutelle aux délibérations du CA. Ainsi « les délibérations du conseil deviennent exécutoires, en l’absence d’opposition du ministre chargé de la sécurité sociale ou du ministre chargé de la culture, dans un délai d’un mois à compter de leur transmission aux autorités précitées » (article R382-8 du code de la sécurité sociale).
Ce qui n’empêche pas le président d’envoyer un courrier aux ministères pour demander la tête du directeur sous couvert de ces motifs saugrenus.
Ce positionnement du président revient à préconiser un CA qui ne serait qu’une simple chambre d’enregistrement de décisions prises en amont par les tutelles. Alors que le code de la sécurité sociale prévoit que le « conseil d’administration règle par ses délibération les affaires de l’organisme » avec un contrôle interministériel a posteriori.
Ce positionnement du président rencontre un soutien des ministères de tutelles qui, par abus de pouvoir, tendent en séance à imposer un contrôle des délibérations du CA a priori et non a posteriori.
Par dérogation, ce sont les ministères de tutelles, et non le CA, qui désignent le directeur en vertu de l’article R382-9 du code de la sécurité sociale qui dispose non seulement que : « Les opérations financières et comptables du ou des organismes agréés sont effectuées sous le contrôle du ou des conseils d’administration, par un directeur et un agent comptable. » mais aussi que : « Le directeur du ou des organismes agréés est nommé par arrêté conjoint du ministre chargé de la sécurité sociale et du ministre chargé de la culture. »
Au final, il est assez paradoxal voire cocasse de constater que Monsieur Dumas a été maintenu en poste tant qu’il dérogeait au code de la sécurité mais qu’il est mis fin à ses fonctions quand il le respecte à la lettre.
Le limogeage du directeur — attendu de longue date — ne résout donc pas le grave problème de dysfonctionnement actuel qui consiste à bafouer le rôle décisionnaire du CA, sous l’impulsion conjointe du président du CA et des ministères de tutelle, bien au contraire.