L’autoédition dans le régime social des artistes-auteurs (1)

Synthèse

Les rémunérations tirées de l’autoédition peuvent être déclarées dans le régime social des artistes-auteurs depuis 1er janvier 2021. Quel que soit le support, toutes les reproductions d’œuvres sont concernées par l’autoédition et l’autodiffusion.

L’autoédition et l’autodiffusion peuvent se définir comme la reproduction ou la diffusion de son œuvre par l’artiste-auteur lui-même, en série non limitée, quelle que soit la nature de l’œuvre et de son support matériel.

Lorsque l’artiste-auteur exerce lui-même ses droits d’exploitation, c’est-à-dire qu’il exploite lui-même ses droits de propriété intellectuelle (notamment droit de reproduction et droit de représentation), le produit de la vente des exemplaires, quel que soit le mode d’expression artistique et quelle que soit leur forme, y compris si elle est numérique, est désormais pris en compte dans le régime social des artistes-auteurs.

L’exercice du droit d’exploitation de ses œuvres par l’artiste-auteur lui-même (autoédition, autodiffusion) concerne tous les types d’œuvres et tous les supports.

1/ L’entrée en 2021 de l’autoédition et de l’autodiffusion dans le régime social des artistes-auteurs

Le décret du 28 août 2020 a modifié l’article R382-1 du code de la sécurité sociale et précise que « Les œuvres précitées peuvent être réalisées sur tout support ».
Et il est suivi de deux articles additionnels : l’article R382-1-1 précise les revenus d’activités principales, cependant que l’article R382-1-2 précise les revenus d’activités accessoires.

Parmi les revenus d’activités principales, le 2° introduit l’autoédition et l’autodiffusion en ces termes : « La vente d’exemplaires de son œuvre par l’artiste-auteur qui en assure lui-même la reproduction ou la diffusion, ou lorsqu’il est lié à une personne mentionnée à l’article L. 382-4 par un contrat à compte d’auteur prévu à l’article L. 132-2 du code de la propriété intellectuelle ou par un contrat à compte à demi prévu à l’article L. 132-3 du même code ».

Le Bulletin officiel Santé - Protection sociale - Solidarité n° 2023/1 du 16 janvier 2023 a publié page 146, une instruction interministérielle N° DSS/5B/DGCA/2023/6 du 12 janvier 2023 relative aux revenus tirés d’activités artistiques relevant de l’article L. 382-3 du code de la sécurité sociale. Cette instruction, en pdf en fin d’article, « a pour objet de préciser les modalités d’application du décret n° 2020-1095 du 28 août 2020 relatif à la nature des activités et des revenus des artistes-auteurs ».

S’agissant de l’autodiffusion et l’autoédition, l’instruction précise page 4 de son annexe 1 que le 2° de l’article R382-1-1 vise les « Revenus issus de l’autoédition ou de l’autodiffusion d’œuvres quels qu’en soient le format, le support et le nombre d’exemplaires ».

2/ « Œuvres originales » et « Exemplaires d’œuvres »

De prime abord, il importe de préciser ce que signifie ici « exemplaires d’œuvres ».
Il s’agit de reproductions d’œuvres (originales) en grand nombre sur tout support, et non d’exemplaires originaux d’œuvres dont le tirage est règlementairement limité.

  • Originalité de l’œuvre

Tous les artistes-auteurs et autrices conçoivent ou créent des « œuvres originales » au sens du code de la propriété intellectuelle, c’est-à-dire des œuvres qui révèlent un apport personnel et intellectuel. Autrement dit des œuvres qui n’existaient pas avant et qui portent l’empreinte de la personnalité de leur auteur.

L’originalité de l’œuvre est une condition sine qua non pour bénéficier de la protection au titre de la propriété intellectuelle

En cas de contentieux, un pouvoir d’appréciation est laissé au juge pour discerner les œuvres effectivement protégées par le code de la propriété intellectuelle, en jugeant du caractère « original » de l’œuvre et en s’appuyant sur la jurisprudence.

  • « Œuvre originale »

Le mot « original » peut aussi prendre un sens spécifique pour certaines œuvres dont la destination première n’est pas d’être reproduites industriellement. Par exemple, les œuvres littéraires, musicales ou cinématographiques sont conçues pour être reproduites et diffusées en très grand nombre. Inversement, la destination première d’un tableau ou d’une sculpture est la vente sur un marché, et non sa reproduction en grand nombre.

Ainsi le sens du mot « original » dans le 3° de l’article R382-1 et dans le 1° de l’article R382-1-1 : « La vente ou la location d’œuvres originales mentionnées à l’article R. 382-1 » vise les « œuvres originales » plastiques ou graphiques au sens particulier de l’article R122-3 du code de la propriété intellectuelle qui précise qu’il s’agit des « œuvres originales graphiques ou plastiques créées par l’auteur lui-même, telles que les tableaux, les collages, les peintures, les dessins, les gravures, les estampes, les lithographies, les sculptures, les tapisseries, les céramiques, les verreries, les photographies et les créations plastiques sur support audiovisuel ou numérique ».

La notion « d’œuvre originale » doit se comprendre ici au sens d’une œuvre unique ou en nombre limité, qui est considérée comme un « original » (et non comme une reproduction d’œuvre « fabriquée en nombre »).

Il peut s’agir d’un exemplaire unique : par exemple, l’exemplaire original unique d’un tableau, d’une œuvre plastique, d’un dessin, d’une illustration, d’une planche de BD, d’un prototype de design, etc.

Il peut aussi s’agir « d’exemplaires originaux » numérotés, signés, tirés en nombre limité, tel que définis par l’article R122-3 du code de la propriété intellectuelle :
« Les œuvres exécutées en nombre limité d’exemplaires et sous la responsabilité de l’auteur sont considérées comme œuvres d’art originales si elles sont numérotées ou signées ou dûment autorisées d’une autre manière par l’auteur. Ce sont notamment :
a) Les gravures, estampes et lithographies originales tirées en nombre limité d’une ou plusieurs planches ;
b) Les éditions de sculpture, dans la limite de douze exemplaires, exemplaires numérotés et épreuves d’artiste confondus ;
c) Les tapisseries et œuvres d’art textile faites à la main, sur la base de modèles originaux fournis par l’artiste, dans la limite de huit exemplaires ;
d) Les émaux entièrement exécutés à la main et comportant la signature de l’artiste, dans la limite de huit exemplaires numérotés et de quatre épreuves d’artiste ;
e) Les œuvres photographiques signées, dans la limite de trente exemplaires, quels qu’en soient le format et le support ;
f) Les créations plastiques sur support audiovisuel ou numérique dans la limite de douze exemplaires. »

La vente d’œuvres originales (ou d’exemplaires originaux d’œuvres) a toujours été prise en compte dans le régime social des artistes-auteurs. Il ne s’agit pas d’édition, ni d’autoédition qui concerne la reproduction d’œuvres en nombre illimité.

  • Œuvre utilitaire

Pour mémoire, il a été jugé que le caractère éventuellement utilitaire d’une œuvre ne faisait nullement obstacle à son « originalité », ni à sa protection par le code de la propriété intellectuelle, ni à sa prise en compte dans le régime social des artistes-auteurs.

La cour d’appel de Paris (pôle 6 - chambre 12) par son arrêt du 05 mars 2015 a notamment jugé que « l’aspect pratique ou décoratif de certaines créations ne fait pas disparaître leur originalité artistique » ; que « la protection artistique s’étend à l’ensemble des œuvres quels qu’en soient la forme d’expression ou la destination » ; et que « les artistes-auteurs se distinguent des artisans d’art par l’originalité et la valeur artistique de leur création et non par l’aspect utilitaire ou non de leur production ».

3/ Édition et autoédition

  • Édition

Le code de la propriété intellectuelle dispose : « L’auteur jouit, sa vie durant, du droit exclusif d’exploiter son œuvre sous quelque forme que ce soit et d’en tirer un profit pécuniaire » (article L123-1) et « Le droit d’exploitation appartenant à l’auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction » (article L122-1).

Ces droits patrimoniaux permettent notamment à l’artiste-auteur de percevoir une rémunération (droits d’auteur) pour l’exploitation de ses œuvres par des tiers.

Dans le code de la propriété intellectuelle, le « contrat d’édition » fait partie des «  dispositions générales  ». L’édition ne concerne pas uniquement les livres imprimés, mais tous les supports et tous les types d’œuvres.

Quelle que soit sa nature, toute œuvre peut être éditée ou reproduite. Autrement dit, toute œuvre peut faire l’objet d’une autorisation ou d’une cession du « droit de fabriquer ou faire fabriquer en nombre des exemplaires de l’œuvre » (article L132-1).

L’édition concerne la vente d’exemplaires d’œuvres reproduites en nombre non limité, quel que soit le type d’œuvre et quel que soit le support matériel de l’œuvre reproduite. NB : Ne sont pas concernés ici les exemplaires originaux d’œuvres au sens de l’article R122-3 du code de la propriété intellectuelle qui sont signés, numérotés, édités en nombre limité et considérés comme des œuvres originales

Le professeur André Lucas précise que la notion d’édition s’entend de « la fabrication en nombre de tous supports matériels fixant une œuvre de l’esprit, même des objets corporels dans lesquels s’incorporent une œuvre graphique ou plastique » (in Traité de propriété littéraire et artistique). Cette position est attestée par de nombreuses jurisprudences et est partagée par l’ensemble de la doctrine.

Les institutions culturelles ont développé, depuis de nombreuses années, des produits incorporant des œuvres visuelles à destination des visiteurs.
Par exemple, un musée qui édite des foulards sur lesquels une œuvre protégée par le code de la propriété intellectuelle est reproduite doit nécessairement obtenir l’autorisation de l’auteur de l’œuvre (ou de son ayant-droit) avant de procéder à l’édition donc l’exploitation de cette œuvre, sous peine d’être condamné pour contrefaçon.

Ainsi la notion d’édition s’entend de la fabrication en nombre (non limité) de tous supports matériels fixant une œuvre de l’esprit, y compris les objets corporels dans lesquels s’incorporent une œuvre visuelle. Par exemple : reproduction d’une photographie sur des cartes postales, reproduction d’un dessin original sur des tissus imprimés, reproduction d’un tableau sur des magnets ou des mugs, reproduction d’un design original sur des tapis de souris, reproduction d’une sculpture originale sous forme de porte-clés, reproduction d’une charte graphique originale sur des documents imprimés (cartes de visite, cartes de vœux, papier en-tête, etc.), reproduction d’une illustration originale sur la couverture d’un cahier, reproduction d’une peinture originale sur de la vaisselle ou des tee-shirts, etc.

  • Autoédition, autodiffusion

L’autoédition et l’autodiffusion s’entendent de l’exercice par l’artiste-auteur lui-même de ses droits patrimoniaux, notamment de ses droits d’exploitation (reproduction, représentation) sur ses propres œuvres.

Jusqu’ici il était assez incohérent que le régime social des artistes-auteurs prenne en compte les droits d’auteur, c’est-à-dire les revenus de l’exploitation de leurs œuvres par des tiers, mais que soit exclus de ce régime, les revenus de l’exploitation de leurs œuvres par les artistes-auteurs eux-mêmes ! Comme si c’était le diffuseur qui faisait l’auteur, et non l’inverse…

Toute édition par un tiers, qui pourrait être attaquée en contrefaçon par l’auteur d’une œuvre pour cause de reproduction ou de diffusion sans autorisation écrite, ni cession de droit, peut être concernée par l’autoédition et l’autodiffusion.

Il en est ainsi des CD, des DVD ou de tout support incorporant une œuvre originale, des livres imprimés ou numériques, des éditions phonographiques, des éditions vidéographiques, des éditions de sculptures et d’images fixes, des éditions de jeux, etc. Et de façon générale, des éditions d’objets en deux ou trois dimensions incorporant la reproduction d’une œuvre originale.

Aucun support matériel fixant l’œuvre originale n’est exclu, c’est ce que précise l’instruction (page 4 de son annexe 1), le 2° de l’article R382-1-1 vise les « Revenus issus de l’autoédition ou de l’autodiffusion d’œuvres quels qu’en soient le format, le support et le nombre d’exemplaires »

Quel que soit le support matériel qui fixe l’œuvre originale, toutes les reproductions et toutes les diffusions de son œuvre par l’auteur lui-même peuvent être concernées par l’autoédition et l’autodiffusion.

NB : Les limitations à l’autoédition dans le régime social des artistes-auteurs sont étudiées dans l’article suivant.

Instruction_Revenus_Artistiques_2023_6