1/ Des pratiques illégales des Conseils départementaux
En application des articles L.111-4 et L.121-3 du code de l’action sociale et des familles, le conseil départemental adopte un règlement départemental d’aide sociale définissant les règles selon lesquelles sont accordées les prestations d’aide sociale relevant du département dans les conditions définies par la législation et la réglementation sociales.
Plusieurs Conseils départementaux en France agissent comme s’ils avaient le pouvoir d’imposer unilatéralement des « contrats d’engagements réciproques ».
Or, légalement, ce contrat doit être « librement débattu ».
Plusieurs Conseils départementaux en France agissent comme s’ils avaient le pouvoir d’évaluer forfaitairement et arbitrairement les revenus professionnels d’un artiste-auteur pour servir de base au calcul du montant du RSA versé par la CAF.
Or la prise en compte d’un revenu forfaitaire non perçu pour calculer à la baisse le montant du RSA versé par la CAF est illégale. Le mode de calcul applicable est prévu nationalement par décret et dépend du régime d’imposition de l’artiste-auteur.
Ces pratiques illégales mettent aujourd’hui nombre d’artistes-auteurs dans des situations intenables.
2/ Le cas du Département du Tarn
Dans le Tarn, la lettre d’information remise aux travailleurs non salariés bénéficiaires du RSA précise notamment : « Vos revenus d’activité doivent être supérieurs ou égaux aux montants du tableau figurant au verso de cette lettre. Dans le cas contraire, le revenu moyen sera appliqué sur la période d’évaluation. » (voir PDF ci dessous).
La grille d’évaluation progressive d’une activité de travailleur non salarié fournie précise en effet des revenus mensuels moyens (première période sur 9 mois : 122,50€, deuxième période sur 9 mois : 343,07€ et troisième période sur 6 mois : 588€). Ces montants forfaitaires sont déduits — comme s’ils avaient été perçus — dans le calcul du montant du RSA versé par la CAF, si le travailleur indépendant ou l’artiste-auteur n’a pas atteint « l’objectif » de la période. En revanche si l’objectif a été dépassé, le calcul du montant du RSA prend en compte le revenu perçu. Autrement dit, plus un artiste-auteur a de difficultés à atteindre l’objectif artificiellement fixé par le département, moins il perçoit de RSA... Dans le Tarn, plus un artiste-auteur a de difficultés économiques, plus il est pénalisé !
Le règlement départemental d’aide sociale pour les travailleurs non salariés (voir PDF ci-dessous) explique clairement la règle inique et illégale mise en place par le conseil départemental. La grille d’évaluation forfaitaire est votée par la commission permanente (voir PDF ci dessous).
Enfin, en guise de contrat d’engagement réciproque (CER), le bénéficiaire du RSA est tenu de signer une attestation sur l’honneur à compléter mais non modifiable (voir ci dessous les attestations actuellement utilisées).
Inversement à ces mauvaises pratiques dans le département du Tarn, le département de l’Isère met à disposition un règlement technique clair, précis et respectueux du cadre législatif et réglementaire.
3/ Le courrier du CAAP au Président du Département du Tarn avec copie au Préfet.
Objet : courrier amiable relatif aux pratiques et procédures illicites mises en œuvre par le Département du Tarn concernant l’octroi du RSA aux artistes-auteurs et aux travailleurs non salariés.
« Monsieur le Président,
Le CAAP, syndicat national, défend les intérêts moraux et matériels, individuels et collectifs, des artistes-auteurs et des artistes-autrices.
Or les artistes-auteurs de votre département nous ont signalé des pratiques qui dérogent à la législation et la réglementation applicables aux bénéficiaires du revenu de solidarité active.
Le RSA traduit le droit fondamental de tous les citoyens à disposer de ressources suffisantes pour vivre conformément à la dignité humaine, droit énoncé dans le préambule de la Constitution française de 1946 et par le Conseil de l’Europe. Or, les dysfonctionnements constatés dans votre département font obstacle à l’insertion professionnelle des artistes-auteurs et des TNS bénéficiaires du RSA au lieu de la favoriser, fragilisent les personnes concernées au lieu de les aider et portent atteinte à leur dignité.
UN CONTRAT AUTOMATIQUE IMPOSÉ UNILATÉRALEMENT ET NON LIBREMENT DÉBATTU
L’instruction N° DGCS/SD1/2019/24 du 04 février 2019 relative à la mise en œuvre territoriale de la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté précise : « Le premier accueil social inconditionnel garantit que toute personne rencontrant des difficultés ou souhaitant exprimer une demande d’ordre social bénéficie d’une écoute attentionnée de la globalité de ses besoins et préoccupations afin de lui proposer le plus tôt possible des conseils et une orientation adaptée, dans le respect du principe de participation des personnes aux décisions qui les concernent ».
L’article L262-35 du code de l’action sociale et des familles (CASF) précise : « Le bénéficiaire du revenu de solidarité active [...] conclut avec le département, représenté par le président du conseil départemental, un contrat librement débattu énumérant leurs engagements réciproques en matière d’insertion professionnelle. Ce contrat précise les actes positifs et répétés de recherche d’emploi que le bénéficiaire s’engage à accomplir. » Ce contrat personnalisé doit notamment tenir « compte de la formation du bénéficiaire, de ses qualifications, de ses connaissances et compétences acquises au cours de ses expériences professionnelles, de sa situation personnelle et familiale ».
Le Conseil d’État, dans un arrêt du 15 juin 2018, a rappelé que le contrat conclu avec le département doit être « élaboré de façon personnalisée » et qu’il doit s’agir « d’un contrat librement débattu énumérant leurs engagements réciproques en matière d’insertion, dans le cadre d’un accompagnement social et professionnel adapté aux besoins » du bénéficiaire du RSA.
De ces dispositions, il résulte qu’un « contrat d’engagement réciproque » ne peut en aucun cas être un document rédigé unilatéralement par le département, ni un contrat imposé sans tenir compte de la situation particulière des intéressés. Un contrat imposé unilatéralement est entaché d’illégalité et relève d’un excès de pouvoir.
Or l’« attestation sur l’honneur faisant foi de contrat d’engagement réciproque pour une durée de x mois » que votre département a établie pour les travailleurs non salariés constitue un contrat — automatique et systématique — qui leur est imposé unilatéralement. Lors de leurs rendez-vous avec leurs référents, les intéressés sont abusivement menacés de perdre leur droit au RSA s’ils ne signent pas cette attestation préétablie uniformément par le département pour l’ensemble des travailleurs non salariés.
DES OBJECTIFS DE REVENUS IMPOSÉS ET DÉCLARÉS COMME S’ILS AVAIENT ÉTÉ PERÇUS
Aux termes de l’article L. 262-27 du CASF : « Le bénéficiaire du revenu de solidarité active a droit à un accompagnement social et professionnel adapté à ses besoins et organisé par un référent unique [...] ». En vertu du premier alinéa de l’article L. 262-28 et de l’article D. 262-65 de ce code, le bénéficiaire du revenu de solidarité active est tenu, lorsqu’il est sans emploi ou ne tire de l’exercice d’une activité professionnelle que des revenus inférieurs à 500 euros en moyenne mensuelle, « de rechercher un emploi, d’entreprendre les démarches nécessaires à la création de sa propre activité ou d’entreprendre les actions nécessaires à une meilleure insertion sociale ou professionnelle ».
Le contrat d’engagement réciproque (CER) est donc supposé retracer les actions que l’organisme vers lequel le bénéficiaire du RSA a été orienté s’engage à mettre en œuvre dans le cadre du service public, notamment en matière d’accompagnement personnalisé et, le cas échéant, de formation et d’aide à la mobilité.
Or, contrairement à la réglementation en vigueur, des objectifs de revenus mensuels sont inclus d’avance dans l’attestation sur l’honneur automatiquement imposée par le département.
Dans l’attestation sur l’honneur en vigueur jusqu’en septembre 2019 et supposée tenir lieu de CER, le bénéficiaire « s’engage à réaliser a minima un chiffre d’affaires » prédéterminé et imposé par le département et « à déclarer auprès de tous les organismes les revenus évalués conjointement avec le département ».
Or, il est illégal de minorer le montant du RSA ou de le supprimer sous couvert d’objectifs de revenus forfaitaires minimaux non atteints et non perçus par les bénéficiaires.
Or, il est illégal d’imposer aux bénéficiaires de déclarer des revenus non perçus. Cette injonction faite aux bénéficiaires, jusque très récemment, revenait à leur imposer de faire de fausses déclarations et ce, notamment, en vue de leur faire obtenir une prime d’activité… Qu’un département favorise ainsi la fraude et fasse porter sur les bénéficiaires le risque d’être sanctionnés (notamment en vertu des articles L114-13 et L114-17 du code de la Sécurité sociale) était pour le moins aberrant. Dans la dernière version de vos attestations sur l’honneur, le bénéficiaire s’engage « à déclarer auprès de tous les organismes le chiffre d’affaires réalisé ». Il n’est donc plus enjoint à mentir dans ses déclarations de revenus, mais parallèlement le département envoie à la CAF sa propre évaluation forfaitaire et, c’est toujours sur cette base fictive que le montant du RSA est calculé par la CAF, ainsi que l’éventuel montant de la prime d’activité… De cette pratique illégale découle, le cas échéant, une minoration artificielle du montant du RSA versé aux bénéficiaires.
UNE ÉVALUATION DES REVENUS PROFESSIONNELS NON SALARIÉS DÉCRÉTÉE ARBITRAIREMENT PAR LE DÉPARTEMENT EN VIOLATION DES DISPOSITIONS DU CASF
Dans la « lettre d’information » remise aux bénéficiaires, le département fait une citation tronquée de l’article R262-23 du CASF pour justifier sa procédure abusive.
Selon la décision du Conseil d’État du 28/12/2018 : L’article R262-23 du CASF prévoit que : « Selon les modalités prévues aux articles R. 262-18 à R. 262-22, le président du conseil départemental arrête l’évaluation des revenus professionnels non salariés nécessaires au calcul du revenu de solidarité active. Il résulte du dernier alinéa de l’article L. 262-7 du code de l’action sociale et des familles (CASF), dans sa rédaction applicable, de l’article R. 262-19, dans sa rédaction applicable, et des articles R. 262-21, R. 262-23 et R. 262-24 du même code que, pour arrêter les revenus professionnels non salariés nécessaires au calcul du revenu de solidarité active (RSA), lorsqu’il s’agit de bénéfices industriels et commerciaux ou de bénéfices non commerciaux, le président du conseil départemental doit, en cas de déclaration ou d’imposition, se référer aux bénéfices déterminés en fonction des régimes d’imposition applicables au titre de la pénultième année... ».
Ainsi le président du conseil départemental n’a nullement le droit d’arrêter selon son bon vouloir l’évaluation des revenus professionnels non salariés nécessaires au calcul du revenu de solidarité active. Légalement il doit obligatoirement appliquer les dispositions prévues aux articles R. 262-18 à R. 262-22 du CASF.
Non seulement des évaluations arbitraires du président du conseil départemental sont entachées d’illégalité manifeste, mais encore elles constituent une rupture d’égalité de traitement.
LA SITUATION SPÉCIFIQUE DES ARTISTES-AUTEURS
Pour votre bonne information, la situation des artistes-auteurs est spécifique. Socialement leurs revenus sont obligatoirement assujettis aux cotisations d’assurances sociales et d’allocations familiales dans les mêmes conditions que des salaires (cf article L382-1 et suivants du Code de la Sécurité Sociale). La circulaire DGCS/MS no 2010-50 du 10 février 2010 relative aux modalités de prise en compte des revenus de certaines catégories de professionnels – vendeurs à domicile indépendants et artistes auteurs – pour l’ouverture du droit au revenu de solidarité active (RSA) reste d’actualité pour expliciter leur cas particulier.
S’agissant du calcul de l’ouverture du droit au RSA des artistes-auteurs, il convient, comme pour tout bénéficiaire du RSA, de se référer aux régimes d’imposition qui leur sont applicables. Les revenus à déclarer sont les revenus bruts abattus des taux fiscaux correspondant au régime d’imposition.
Trois modalités déclaratives fiscales sont possibles pour les artistes-auteurs :
- si l’artiste-auteur déclare ses revenus en BNC avec un régime d’imposition au réel (déclaration contrôlée), il doit se voir appliquer, pour le calcul de son droit au RSA, le mode de calcul applicable aux TNS en BNC (« les bénéfices non commerciaux s’entendent des résultats ou bénéfices déterminés en fonction des régimes d’imposition applicables au titre de la pénultième année, ou ceux de la dernière année s’ils sont connus, pourvu qu’ils correspondent à une année complète d’activité. S’y ajoutent les amortissements et les plus-values professionnels ». cf art. R262-19 du CASF).
- si l’artiste-auteur déclare ses revenus en micro-BNC, il doit se voir appliquer, pour le calcul de son droit au RSA, le mode de calcul applicable au régime spécial (déclaration trimestrielle des recettes avec un abattement forfaitaire pour charges de 34 % correspondant à son régime fiscal). Ce mode de calcul « est également applicable aux travailleurs indépendants qui en font la demande » cf art. R262-19 du CASF.
- si l’artiste-auteur déclare ses revenus en traitements et salaires assimilés, il doit se voir appliquer, pour le calcul de son droit au RSA, le mode de calcul applicable aux salariés.
Enfin, conformément aux droits culturels et à la loi sur la liberté de création, nous vous rappelons que nul n’a le droit en France d’imposer à quiconque de cesser ses activités de création artistique. Or votre règlement départemental prévoit d’imposer aux artistes-auteurs une cessation d’activité.
UNE PROCÉDURE D’ÉVALUATION ILLICITE POUR LES TNS ET LES ARTISTES-AUTEURS AU RSA
Votre département a établi une grille de revenus et une procédure d’évaluation forfaitaire des revenus des travailleurs non salariés en violation des modalités réglementaires applicables, notamment l’article R262-23 du CASF. Cette grille est jointe à la « lettre d’information » des bénéficiaires.
Pour mémoire, la Cour administrative d’appel de Nantes a condamné le département d’Ille-et-Vilaine pour avoir recalculé à la baisse le montant du RSA d’un travailleur non salarié « du fait de la prise en compte par l’administration d’une évaluation forfaitaire de ses revenus professionnels issus de son activité de travailleur indépendant fixée à 250 euros par mois ».
Il a été jugé que « l’administration a fait usage d’une modalité d’appréciation des revenus professionnels de l’intéressé non prévue par les textes » et que la délibération de la commission permanente et son « mode d’évaluation de ses revenus professionnels retenu » étaient « entachée d’une erreur de droit et ne peut qu’être annulée ».
Ainsi « le président du conseil général, qui peut tenir compte "des éléments de toute nature relatifs aux revenus professionnels de l’intéressé“, n’a pas légalement le pouvoir d’évaluer forfaitairement des revenus professionnels non perçus pour arrêter le montant des revenus servant de base de calcul au revenu de solidarité active de l’allocataire ».
Or, non seulement la procédure que vous avez mise en place se permet de définir une grille de revenus forfaitaires et de minorer le montant du RSA en fonction de cette grille illicite, mais encore elle limite l’accompagnement des TNS à une durée de 24 mois, ce qui est discriminatoire.
Un TNS ou un artiste-auteur au RSA qui n’atteint pas le revenu minimal fixé par la grille votée par votre commission permanente se voit néanmoins appliqué ce revenu forfaitaire (s’il est supérieur à celui effectivement perçu) pour le calcul du montant de son RSA (qui est donc abusivement minoré), et ce, à chacune des trois périodes (deux périodes de 9 mois et une de 6 mois, soit 24 mois en tout). À la troisième et dernière période le minima à atteindre est fixé au seuil qui exclut le TNS des droits et devoirs du RSA.
Sous couvert que les TNS ou les artistes-auteurs « doivent être en mesure de justifier de la viabilité de leur entreprise », au final, la procédure discriminatoire mise en place par le département du Tarn n’est nullement un projet d’accompagnement des travailleurs indépendants en difficulté pour « leur permettre d’atteindre l’autonomie financière » mais une procédure de minoration, voire de radiation, du RSA. Les attendus de votre règlement pour les TNS (« renoncer au RSA, rechercher une activité complémentaire, radier son activité et s’inscrire à Pôle emploi ») laissent peu de doute quant aux objectifs réels de votre département.
Pour mémoire, aux termes de l’article L262-2 du CASF « toute personne résidant en France de manière stable et effective, dont le foyer dispose de ressources inférieures à un revenu garanti, a droit au revenu de solidarité active » et ce, que cette personne soit salariée ou non salariée.
Contrairement à ce qui est mentionné dans votre règlement départemental, le RSA n’a pas « pour vocation de procurer momentanément un revenu minimum à un travailleur non salarié qui ne parvient pas à dégager suffisamment de ressources de son activité pour subvenir à ses besoins », l’objet du RSA est défini par l’article L262-1 du CASF : « Le revenu de solidarité active a pour objet d’assurer à ses bénéficiaires des moyens convenables d’existence, d’inciter à l’exercice d’une activité professionnelle et de lutter contre la pauvreté de certains travailleurs, qu’ils soient salariés ou non salariés ».
Par la présente, nous vous mettons en demeure de cesser l’ensemble des pratiques et procédures illicites mises en œuvre dans votre département concernant l’octroi du RSA pour les TNS et les artistes-auteurs.
Notamment, nous vous demandons de supprimer instamment la grille de revenu forfaitaire votée par la commission permanente du département du Tarn et d’annuler les règles illégales encadrant la durée et le montant de l’octroi du RSA aux travailleurs indépendants mentionnée dans le règlement départemental d’aide sociale pour les travailleurs non salariés.
Nous vous demandons enfin de rétablir d’urgence dans leur droit les travailleurs indépendants et les artistes-auteurs — à qui votre département a illégalement minoré le montant du RSA sur la base d’une procédure abusive — et de réparer le préjudice causé en effectuant un versement rétroactif des sommes indûment non versées par la CAF au titre du RSA. »