L’application de la réforme désastreuse du RAAP et son usine à gaz (1) : le decryptage du décret 2015 applicable en 2017

1/ CONTEXTE

La réforme attendue du régime social de base des artistes-auteurs est au point mort. Le ministère des affaires sociales laisse pourrir la situation qui bien évidemment s’empire. Il refuse même l’investissement informatique nécessaire à la simple gestion légale du régime !

Parallèlement ce même ministère a fait pression pour imposer d’urgence une modification des modalités de cotisations du régime de retraite complémentaire et ce, en l’absence de tout système informatique mutualisé capable de gérer cette réforme qui aurait dû d’évidence intervenir après - et non avant - celle du régime de base.

Cette réforme catastrophique a engendré une pétition de plus de 10 000 signataires et à l’unanimité les syndicats d’artistes-auteurs s’y sont opposés (à la seule exception de l’AFD, Alliance Française des designers et de l’UPP, Union des photographes Professionnels). Pour les épisodes précédents voir ici.

2/ UN SYSTÈME INFORMATIQUE CRÉÉ AUX FRAIS DES ARTISTES-AUTEURS

En toute rationalité, le système informatique mutualisé prévu pour le régime social de base (Mda-sécu et Agessa) prévoyait également la collecte et le reversement à l’IRCEC-RAAP des cotisations de retraite complémentaire proportionnel au revenu.

Or, la réforme du Raap rendue applicable par décret dès 2017 a impliqué la création maison d’un système informatique ad hoc financé par les cotisations des artistes-auteurs. Fiabilité et coût de l’opération ? Mystère, aucune information de l’IRCEC-RAAP à ce sujet. Recette attendue ? Un triplement du montant global de la collecte en 3 ans.

Les artistes-auteurs vont payer très cher les pots cassés de l’incurie du ministère des affaires sociales et des mauvaises décisions du Conseil d’administration du RAAP. Dès 2017, les cotisants au RAAP vont essuyer les plâtres d’un système informatique bricolé et non testé mais payé avec leurs cotisations.

3/ FONDEMENT LÉGAL DE LA RÉFORME DU RAAP

Le fondement légal de cette réforme désastreuse est le décret n° 2015-1877 du 30 décembre 2015 relatif au régime d’assurance vieillesse complémentaire des artistes et auteurs professionnels, il modifie les dispositions du décret n° 62-420 du 11 avril 1962.

Dans son excès de zèle pour récupérer très vite de l’argent frais, l’IRCEC-RAAP précise dans un courrier daté du 12 janvier 2017 les règles qu’elle entend imposer à ses cotisants. Ces "règles" excèdent les obligations légales, déjà désastreuses. Un prochain article décryptera le courrier de l’IRCEC-RAAP et précisera comment y répondre.

4/ DÉCRYPTAGE DU DÉCRET

A/ DISPOSITIONS PÉRENNES

- Baisse du seuil de cotisation obligatoire au RAAP

Le décret actualisé stipule : " Seules sont tenues de cotiser les personnes mentionnées à l’article 1er du présent décret qui, au cours de la dernière année civile, ont tiré de leur activité un revenu, évalué conformément aux dispositions de l’article L. 382-3 du code de la sécurité sociale, d’un montant au moins égal à 900 fois la valeur horaire brute du salaire minimum de croissance en vigueur le 1er janvier de l’année civile considérée."

Jusqu’à présent, il était obligatoire de cotiser au RAAP quand le BNC réel (revenu non commercial professionnel sans majoration) atteignait un montant fixé chaque année sur décision du conseil d’administration (l’avis d’imposition faisant foi si nécessaire). Le montant adopté ces dernières années correspondait à 900 fois la valeur horaire moyenne du SMIC. Désormais en application du nouveau décret le seuil de cotisation obligatoire au RAAP n’est plus le BNC réel ("revenus professionnels commerciaux déclarés") mais le BNC majoré de 15%, en conséquence le seuil de cotisation obligatoire est fortement abaissé pour les déclarants en BNC.

Ainsi en 2016, un artiste-auteur était tenu de cotiser au RAAP si son revenu professionnel était supérieur ou égal à 8.649€ (seuil d’affiliation au régime de base pour les revenus perçus en 2015).

En 2017, un artiste-auteur est tenu de cotiser au RAAP si son assiette sociale (BNC+15% ou droits d’auteurs bruts) est supérieur ou égal à 8.703€ (seuil d’affiliation au régime de base pour les revenus perçus en 2016), ce montant correspond à un BNC réel de 7.568€.

Autrement dit, en 2016 ceux dont les "revenus non commerciaux professionnels déclarés" en 2015 sur leur avis d’imposition étaient inférieurs à 8.649€ étaient exonérés de cotisation obligatoire au RAAP. En 2017, ceux dont les "revenus non commerciaux professionnels déclarés" en 2016 sont supérieurs à 7.568€ devront obligatoirement cotiser au RAAP.

L’abaissement du seuil obligatoire de cotisation au RAAP (de 8.649€ à 7.568€) engendre une augmentation du nombre de cotisants parmi les artistes-auteurs les plus précaires.

- Assiette : BNC majoré de 15% versus "revenus non commerciaux professionnels déclarés"

Le décret actualisé stipule : "La cotisation est fixée en pourcentage des revenus de la dernière année écoulée tels que définis à l’article L. 382-3 du code de la sécurité sociale, dans la limite d’un plafond égal à 3 fois le plafond prévu à l’article L. 241-3 du même code en vigueur le 1er janvier de l’année au cours de laquelle la cotisation est appelée."

En application du décret, l’assiette de cotisation du RAAP n’est pas le revenu professionnel réel mais l’assiette sociale du régime de base, donc un montant majoré de 15% pour les déclarants en BNC. Par exemple, un déclarant en BNC ayant gagné 10.000€ paiera sa retraite complémentaire sur la base d’un taux appliqué à un montant de 11.500€ (BNC +15%).

Les plus bas revenus (dès 630€ par mois) devront donc désormais payer des montants de cotisations sociales obligatoires nettement plus élevés. En revanche les plus hauts revenus (supérieur à 3 fois le plafond de la sécurité sociale soit 9.654€ par mois) verront leur cotisation au RAAP plafonnée (le pourcentage effectif appliqué à leur revenu sera inférieur à celui de tous les autres cotisants ...).

- Fixation du taux de cotisation

Le décret actualisé stipule : "I. - Le taux de cotisation est fixé chaque année par décret, sur proposition du conseil d’administration dont la composition est fixée par le règlement prévu à l’article 5 du présent décret." et pour les cotisant du RACD et du RACL : "le taux de la cotisation au régime institué par le présent décret est égal à la moitié de celui prévu au I."

Pour mémoire, dans un courrier signé du Président de l’IRCEC et du RAAP (Frédéric Buxin, membre et ex-président de l’UPP) en date du 5 mai 2014, l’organisme de retraite complémentaire annonçait une cotisation obligatoire de 8% du revenu dès le 1er janvier 2016 (télécharger le document).

Ce courrier provoqua à juste titre un tollé général et une mobilisation des artistes-auteurs ainsi que de tous les syndicats qui défendent effectivement leurs intérêts (dont le CAAP bien sûr).

Cette mobilisation a permis de "gagner" un an et d’engendrer quelques aménagements (montée en charge progressive du taux jusqu’à 8% et options provisoires) mais le Conseil d’administration de l’IRCEC-RAAP inflexible n’a jamais remis en cause son obsession préjudiciable : imposer un taux unique de 8% (un mois de revenu !) au final. Et le gouvernement a aveuglement entériné par décret cette réforme désastreuse contraire aux intérêts des artistes-auteurs.

B/ DISPOSITIONS DÉROGATOIRES TRANSITOIRES

L’article 3 du décret du 31 décembre 2015 précise les dispositions transitoires - donc provisoires - concédées aux syndicats d’artistes-auteurs par le Conseil d’Administration du RAAP. Il stipule :
" II. -Par dérogation au troisième alinéa du I de l’article 2 du décret du 11 avril 1962 susvisé dans sa rédaction résultant du présent décret, le taux de cotisation mentionné à cet article est fixé, pour les revenus perçus au titre des exercices 2016 à 2019, à :
5 % sur les revenus perçus au titre de l’exercice 2016 ;
6 % sur les revenus perçus au titre de l’exercice 2017 ;
7 % sur les revenus perçus au titre de l’exercice 2018 ;
8 % sur les revenus perçus au titre de l’exercice 2019.
Toutefois, dans les conditions prévues par le règlement mentionné à l’article 5 du décret du 11 avril 1962 susvisé et jusqu’au 31 novembre 2017, l’assujetti peut opter pour l’application immédiate d’un taux de 8 %.
III. - Par dérogation à ces mêmes dispositions et pour les revenus perçus au titre des exercices 2016 à 2025, lorsque le revenu de l’assujetti, évalué conformément aux dispositions de l’article L. 382-3 du code de la sécurité sociale, est inférieur à un montant au moins égal à 2 700 fois la valeur horaire brute du salaire minimum de croissance en vigueur le 1er janvier de l’année civile considérée, celui-ci se voit appliquer, à sa demande, un taux de cotisation égal à 4 %.
IV. - Jusqu’en 2027, pour les assujettis pour lesquels l’entrée en vigueur des dispositions du présent décret a pour conséquence une diminution du montant de leur cotisation, le règlement prévu à l’article 5 du décret du 11 avril 1962 susvisé peut prévoir la possibilité de continuer à cotiser dans leur dernière classe de cotisation telle que définie à l’article 2 du même décret dans sa rédaction en vigueur antérieurement au présent décret."

  • Taux transitoirement applicables par défaut
    Transitoirement, les taux applicables (par année et en l’absence d’option) sont :
    2017 : 5 % sur les revenus perçus au titre de l’exercice 2016 ;
    2018 : 6 % sur les revenus perçus au titre de l’exercice 2017 ;
    2019 : 7 % sur les revenus perçus au titre de l’exercice 2018 ;
    2020 : 8 % sur les revenus perçus au titre de l’exercice 2019.

Compte tenu de l’assiette artificiellement majorée de 15%, le taux effectif de cotisation d’un artiste-auteur en BNC sera de 5,75% de son revenu réel en 2017, de 6,9% en 2018, de 8,05% en 2019 et de 9,2% en 2020. Si le décret n’est pas abrogé, à partir de 2020. les déclarants en BNC devront payer au RAAP 9,2% de leurs revenus non commerciaux professionnels déclarés aux impôts !

  • Taux et options provisoires par dérogation

Option sans condition, 8% sur l’assiette sociale = 9,2% du BNC déclaré
Par exemple en 2017, au lieu de l’application automatique par défaut de 5% sur l’assiette sociale, le cotisant peut choisir de se voir appliquer un taux de 8% sur l’assiette sociale.
La formulation du décret 2015 (" l’assujetti peut opter pour l’application immédiate d’un taux de 8 %.") signifie implicitement que ce choix est irréversible.
Dès lors qu’un cotisant optera avant 2020 pour un taux de 8%, ce taux lui sera toujours appliqué.

Option sous condition, 4% sur l’assiette sociale = 4,6% du BNC déclaré
Par dérogation, les cotisants ayant une assiette sociale inférieure à 2.700 fois le Smic horaire moyen brut peuvent demander l’application d’un taux de 4% sur l’assiette sociale.
En 2017, une option à 4% est possible si l’assiette sociale de votre revenu annuel 2016 est inférieure à 2.700 x 9,67€ = 26.109€.

Nota bene : Le seuil de 26.109€ en 2017 est l’assiette sociale et non les "revenus non commerciaux professionnels déclarés" par l’artiste-auteur en BNC.
En 2017, un cotisant ne peut opter pour un taux de 4% que si son BNC déclaré est inférieur à 22.703€ (22.703,48 + 15% = 26.109€)
. En revanche si son bénéfice déclaré est au moins de 22.704€, il ne peut pas opter pour cette option (effet de seuil).

Option sous condition, continuer à cotiser dans la classe choisie en 2016 (dernière année avant la réforme)

Par dérogation, jusqu’en 2027, si le montant de la classe de cotisation choisie en 2016 (classe spéciale, classe A, B,C, ou D) est supérieur au montant de la cotisation proportionnelle prévue par le décret 2015, le cotisant peut opter pour payer le montant forfaitaire de la dernière classe qu’il avait choisie en 2016 (et qui était relative à ses revenus 2015).

Par exemple, un artiste-auteur qui aurait toujours cotisé dans la classe maximum (D) mais exceptionnellement dans la classe minimum (classe spéciale) en 2016, ne pourra pas opter pour cette option.

Outre un flou certain sur ses modalités d’application, cette disposition donne sans raison une importance toute particulière au choix de la dernière classe cotisée en 2016. Or, en 2016 au moment de leur choix de classe de cotisation, les cotisants n’ont pas été informés que ce montant servirait aussi de référence pour les 10 prochaines années ! En 2016, les cotisants ont choisi leur classe sans en connaître pleinement l’enjeu, donc en méconnaissance de cause. Leur "choix" n’était pas éclairé.

5/ LA FABLE DE LA GRENOUILLE APPLIQUÉE AUX ARTISTES-AUTEURS

"Si vous plongez une grenouille dans une casserole d’eau bouillante, elle va avoir le coup de patte salutaire pour en sortir aussitôt et s’encourir indemne. Mais, imaginez une marmite remplie d’eau froide dans laquelle nage tranquillement une grenouille. Et puis ... Le feu est allumé sous la marmite, l’eau chauffe doucement. Elle est bientôt tiède. La grenouille trouve cela plutôt agréable et continue à nager. Elle se fatigue un peu, mais elle ne s’affole pas pour autant. L’eau est cette fois vraiment chaude, et la grenouille commence à trouver cela désagréable. Mais elle s’est affaiblie, alors elle supporte et ne fait rien. La température continue à monter, et la grenouille finit tout simplement par cuire donc mourir."

Pour passer en force sa réforme, le Conseil d’administration de l’IRCEC-RAAP, sourd aux contre-propositions constructives de l’intersyndicale, s’est visiblement inspiré de cette fable. Les mesures transitoires et les options dérogatoires finalement acceptées par le Conseil d’Administration du RAAP visaient essentiellement à désamorcer la mobilisation des artistes-auteurs et la forte opposition syndicale. Elles visaient aussi à casser l’unité des syndicats et à diviser les artistes-auteurs entre eux, notamment en insistant auprès des "auteurs du livre" sur le fait que la Sofia continuerait de "prendre en charge" 50% de leurs cotisations dues au RAAP au titre du droit de prêt en bibliothèque.

Le RAAP est l’unique régime de retraite complémentaire des auteurs de l’écrit (écrivains, illustrateurs, auteurs de BD, ...) et des auteurs des arts visuels (plasticiens, graphistes, photographes, ...). Ces derniers sont les premiers dindons de la farce, ils paieront plein pot... les pot cassés de cette réforme aberrante. Mais au final toutes les grenouilles seront cuites...

SAUF ABROGATION, EN APPLICATION DES DÉCRETS DE 2015 ET DE 1962, UN TAUX UNIQUE MORTIFÈRE SERA APPLICABLE À PARTIR DE 2020.

Le CAAP continuera de se battre pour une réforme du régime de retraite complémentaire juste et intelligente.